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— Moi je le trouve chimérique, finit par dire Pécuchet. Il croit aux sciences occultes, à la monarchie, à la noblesse, est ébloui par les coquins, vous remue les millions comme des centimes, et ses bourgeois ne sont pas des bourgeois, mais des colosses. Pourquoi gonfler ce qui est plat, et décrire tant de sottises ! Il a fait un roman sur la chimie, un autre sur la Banque, un autre sur les machines à imprimer, comme un certain Ricard avait fait « le cocher de fiacre », « le porteur d’eau », « le marchand de coco ». Nous en aurions sur tous les métiers et sur toutes les provinces, puis sur toutes les villes et les étages de chaque maison et chaque individu, ce qui ne sera plus de la littérature, mais de la statistique ou de l’ethnographie.

Peu importait à Bouvard le procédé. Il voulait s’instruire, descendre plus avant dans la connaissance des mœurs. Il relut Paul de Kock, feuilleta de vieux ermites de la Chaussée d’Antin.

— Comment perdre son temps à des inepties pareilles ! disait Pécuchet.

— Mais par la suite ce sera fort curieux, comme documents.

— Va te promener avec tes documents ! Je demande quelque chose qui m’exalte, qui m’enlève aux misères de ce monde !

Et Pécuchet, porté à l’idéal, tourna Bouvard, insensiblement, vers la tragédie.

Le lointain où elle se passe, les intérêts qu’on y débat et la condition de ses personnages leur imposaient comme un sentiment de grandeur.

Un jour, Bouvard prit Athalie, et débita le songe tellement bien que Pécuchet voulut à son tour l’essayer. Dès la première phrase, sa voix se