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DE GUSTAVE FLAUBERT.

1367. À GEORGE SAND.
Paris [23 avril 1873].

Il n’y a que cinq jours depuis notre séparation[1] et je m’ennuie de vous comme une bête. Je m’ennuie d’Aurore et de toute la maisonnée, jusqu’à Fadet. Oui, c’est comme ça ; on est si bien chez vous ! vous êtes si bons et si spirituels !

Pourquoi ne peut-on vivre ensemble ? pourquoi la vie est-elle toujours mal arrangée ! Maurice me semble être le type du bonheur humain. Que lui manque-t-il ? Certainement il n’a pas de plus grand envieux que moi.

Vos deux amis, Tourgueneff et Cruchard, ont philosophé sur tout cela, de Nohant à Châteauroux, très agréablement portés dans votre voiture, au grand trot de deux bons chevaux. Vivent les postillons de La Châtre ! Mais le reste du voyage a été fort déplaisant, à cause de la compagnie que nous avions dans notre wagon. Je m’en suis consolé par les liqueurs fortes, car le bon Moscove avait une gourde remplie d’excellente eau-de-vie. Nous avions l’un et l’autre le cœur un peu triste. Nous ne parlions pas, nous ne dormions pas.

Nous avons retrouvé ici la bêtise barodetienne[2] en pleine fleur. Au pied de cette production s’est développé, depuis trois jours, Stoppfel ! autre narcotique âcre ! Ô ! mon Dieu !

  1. Flaubert était allé, avec Tourgueneff, à Nohant, le 12 avril et y avait séjourné quelques jours.
  2. Barodet, maire de Lyon, radical, fut élu député de la Seine contre Rémusat, candidat du gouvernement.