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DE GUSTAVE FLAUBERT.

poudre purifiant l’air, nous ne sortions de là, au contraire, plus forts et plus sains. Je crois que nous serons vengés prochainement par un bouleversement général. Quand la Prusse aura les ports de la Hollande, la Courlande et Trieste, l’Angleterre, l’Autriche et la Russie pourront se repentir. Guillaume a eu tort de ne pas faire la paix après Sedan. Notre honte eût été ineffable ; nous allons commencer à devenir intéressants. Quant à notre succès immédiat, qui sait ? L’armée prussienne est une merveilleuse machine de précision, mais toutes les machines se détraquent par l’imprévu ; un fêtu peut casser un ressort. Notre ennemi a pour lui la science ; mais le sentiment, l’inspiration, le désespoir sont des éléments dont il faut tenir compte. La victoire doit rester au droit, et maintenant nous sommes dans le droit. Oui, tu as raison ; nous payons le long mensonge où nous avons vécu, car tout était faux : fausse armée, fausse politique, fausse littérature, faux crédit et mêmes fausses courtisanes. Dire la vérité c’était être immoral. Persigny m’a reproché tout l’hiver dernier de « manquer d’idéal » ! et il était peut-être de bonne foi. On va en découvrir de belles ; ce sera une jolie histoire à écrire. Ah ! comme je suis humilié d’être devenu un sauvage, car j’ai le cœur sec comme un caillou ! Sur ce, je vais me réaffubler de mon costume et aller faire une petite promenade militaire dans le bois de Canteleu. Penses-tu à la quantité de pauvres que nous devons avoir ? Toutes les fabriques sont fermées et les ouvriers sans ouvrage ni pain : ce sera joli cet hiver. Malgré tout cela, je suis peut-être fou, quelque chose me dit que nous en sortirons.