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DE GUSTAVE FLAUBERT.

Il y a des pays de jouvence, comme la baie de Naples. En de certains moments, ils rendent peut-être plus triste ? Je n’en sais rien.

La vie n’est pas facile ! Quelle affaire compliquée et dispendieuse ! J’en sais quelque chose. Il faut de l’argent pour tout ! si bien qu’avec un revenu modeste et un métier improductif, il faut se résigner à peu. Ainsi fais-je ! Le pli en est pris ; mais les jours où le travail ne marche pas, ce n’est pas drôle. Ah ! oui, je veux bien vous suivre dans une autre planète. Et à propos d’argent, c’est là ce qui rendra la nôtre inhabitable dans un avenir rapproché, car il sera impossible d’y vivre, même aux plus riches, sans s’occuper de son bien ; il faudra que tout le monde passe plusieurs heures par jour à tripoter ses capitaux. Charmant ! Moi, je continue à tripoter mon roman, et je m’en irai à Paris quand je serai à la fin de mon chapitre, vers le milieu du mois prochain.

Et quoi que vous en supposiez, « aucune belle dame » ne vient me voir. Les belles dames m’ont beaucoup occupé l’esprit, mais m’ont pris très peu de temps. Me traiter d’anachorète est peut-être une comparaison plus juste que vous ne croyez.

Je passe des semaines entières sans échanger un mot avec un être humain, et à la fin de la semaine il m’est impossible de me rappeler un seul jour, ni un fait quelconque. Je vois ma mère et ma nièce les dimanches, et puis c’est tout. Ma seule compagnie consiste en une bande de rats qui font dans le grenier, au-dessus de ma tête, un tapage infernal, quand l’eau ne mugit pas et que le vent ne souffle plus. Les nuits sont noires comme de l’encre, et un silence m’entoure, pareil à celui du