Page:Flaubert Édition Conard Correspondance 5.djvu/158

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
152
CORRESPONDANCE

même, je vous en envoie quatre, un sur chaque joue et deux autres, un peu plus longs, placés un peu plus bas.

Voilà tout ce que j’ai voulu vous dire : je regarde ledit Béranger comme funeste ; il a fait accroire à la France que la poésie consistait dans l’exaltation rimée de ce qui lui tenait au cœur. Je l’exècre par amour même de la démocratie et du peuple. C’est un garçon de bureau, de boutique, un bourgeois s’il en fut ; sa gaieté m’est odieuse. Après Voltaire, il faut clore la gaudriole religieuse. Quel argument contre la philosophie, pour les Veuillot, qu’un tel homme ! Et puis, encore un coup, pourquoi ne pas admirer les grandes choses et les vrais grands poètes ? Mais la France, peut-être, n’est pas capable de boire un vin plus fort ! Béranger et Horace Vernet seront pour longtemps son poète et son peintre. Ce qui m’avait indigné dans votre article, c’était la comparaison que vous en faisiez avec Bossuet et Chateaubriand, qui sont cependant loin d’être des dieux pour moi. Je maintiens que le premier écrivait mal, quoi qu’on dise. Mais il serait temps de s’entendre sur le style. N’importe ! Je ne compare pas ces patriciens à ce boutiquier.

Je n’ai pas attendu la réaction pour avoir un avis ; en 1840, il y a vingt-quatre ans, je me suis fait presque mettre à la porte pour l’avoir attaqué chez un de ses amis. C’était chez le préfet de la Corse, devant tout le conseil général. Je vous dirai même que, maintenant, assez souvent, je défends ledit Béranger, car on est encore bien plus bas que son idéal.

Il y a, du reste, dans un des derniers volumes de Sainte-Beuve, une page exquise, où le Béranger