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CORRESPONDANCE

428. À LOUISE COLET.
[Croisset] Mercredi, minuit et demi.

Voici enfin un envoi du Grand Crocodile (je garde une lettre à Mme d’Aunet que je t’enverrai la première fois ; le paquet serait trop gros). Tu verras un discours dont j’ai le double et qui me paraît peu raide. J’ai peur que le grand homme ne finisse par s’abêtir là-bas, dans sa haine. L’attention qu’il a eue de t’envoyer ce journal de Jersey me semble très délicate. Dans sa lettre à moi, il me dit qu’il exige la correspondance, et il qualifie mes lettres des « plus spirituelles et des plus nobles du monde ». J’ai envie maintenant de lui écrire tout ce que je pense. Le blesserai-je ? Mais je ne peux pourtant lui laisser croire que je suis républicain, que j’admire le peuple, etc… Il y a une mesure à prendre entre la grossièreté et la franchise, que je trouve difficile. Qu’en dis-tu ? Par un hasard singulier, on m’a apporté avant-hier un pamphlet en vers contre lui, stupide, calomniant, baveux. Il est d’un citoyen d’ici, ancien directeur de théâtre, drôle qui a épousé pour sa fortune une femme sortant des Madelonnettes[1] et qui, veuf maintenant, se retrouve sur le pavé, ne sachant comment vivre. Cela est payé bien sûr, mais n’aura guère de succès, car c’est illisible.

Ce soubiranne a jadis calé en duel devant un de mes amis, le frère d’Ernest Delamarre (qui m’a donné cette petite statue dorée que tu as vue rue

  1. Sorte de couvent, sous le vocable de sainte Madeleine, où étaient enfermées les femmes de mauvaise vie.