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DE GUSTAVE FLAUBERT.

a dit : « Les Ronsards qui vous conseillent », pour voir son ton. À qui ça s’adressait-il ? à propos de quoi ? Comment ? Il a dit cela sans doute comme une injure, ce bon Cousin ! Les Ronsards qui vous conseillent ! les Homères de vos amis ! Charmant ! charmant ! Et en voilà un aussi qui passe pour un homme de goût, un classique.

J’ai eu aujourd’hui un grand enseignement donné par ma cuisinière. Cette fille, qui a vingt-cinq ans et est Française, ne savait pas que Louis-Philippe n’était plus roi de France, qu’il y avait eu une république, etc. Tout cela ne l’intéresse pas (textuel). Et je me regarde comme un homme intelligent ! Mais je ne suis qu’un triple imbécile. C’est comme cette femme qu’il faut être.

Hier, en allant me faire arracher ma dent, j’ai passé sur la place du Vieux-marché, où l’on exécutait autrefois, et en analysant l’émotion caponne que j’avais au fond de moi, je me disais que d’autres à la même place en avaient eu de pires, et de même nature pourtant ! L’attente d’un événement qui vous fait peur ! Cela m’a rappelé que, tout enfant, à six ou sept ans, en revenant de l’école, j’avais vu là une fois la guillotine qui venait de servir. Il y avait du sang frais sur les pavés et on défaisait le panier. J’ai rêvé cette nuit la guillotine ; chose étrange, ma petite nièce a rêvé aussi la guillotine cette nuit. La pensée est donc un fluide, et qui découle des pentes plus hautes sur les plus basses ?… Qui est-ce qui a jamais étudié tout cela scientifiquement, posément ? Il faudrait un grand poète, ayant à son service une grande science, et tout cela en la possession d’un très honnête homme.