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DE GUSTAVE FLAUBERT.

Tu as bien envie de me voir, chère Louise, et moi aussi. J’éprouve le besoin de t’embrasser et de te tenir dans mes bras. J’espère, à la fin de la semaine prochaine à peu près, pouvoir te dire au juste quand nous nous verrons.

Je vais être dérangé cette semaine par l’arrivée de cousines (inconnues) et assez égrillardes, à ce qu’il paraît, du moins l’une d’elles. Ce sont des parentes de Champagne, dont le père est directeur de je ne sais quelles contributions à Dieppe. Ma mère a été les voir avant-hier et hier, jours où je suis resté seul avec l’institutrice. Mais sois sans crainte, ma vertu n’a pas failli et n’a pas même songé à faillir. À la fin de ce mois, ma nièce, la petite de mon frère, va faire sa première communion. Je suis convié à deux dîners et à un déjeuner. Je m’empiffrerai ; ça me distraira. Quand on ne se gorge pas dans ces solennités, qu’y faire ? Te voilà donc au courant de ma vie extérieure.

Quant à l’intérieure, rien de neuf. J’ai lu Rodogune et Théodore[1] cette semaine. Quelle immonde chose que les commentaires de M. de Voltaire ! Est-ce bête ! Et c’était pourtant un homme d’esprit. Mais l’esprit sert à peu de chose dans les arts, à empêcher l’enthousiasme et nier le génie, voilà tout.

Quelle pauvre occupation que la critique, puisqu’un homme de cette trempe-là nous donne un pareil exemple ! Mais il est si doux de faire le pédagogue, de reprendre les autres, d’apprendre aux gens leur métier ! La manie du rabaissement, qui est la lèpre morale de notre époque, a sin-

  1. Tragédies de Corneille, avec les commentaires de Voltaire.