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Elle jouit de tous les regards d’admiration qu’elle sent dirigés de leur côté. Guy de Morais craint qu’elle ne présume de ses forces dans l’entraînement du moment. Elle le rassure, en lui disant qu’elle ne se sent nullement fatiguée. Et, c’est vrai.

Ils ont promis à Madame des Orties de venir lui souhaiter la bonne année aussitôt après la messe de minuit, à laquelle elle devait assister. C’était même à cette condition que la permission avait été enlevée.

Le jeune homme consulte sa montre :

— Il nous faut nous presser, Mademoiselle, nous avons juste le temps de retenir un taxi, et de nous rendre chez vous.

Elle suit, il l’enveloppe de son manteau de fourrure. Elle le laisse s’occuper de tout.

Il lui tend la main pour l’aider à monter en voiture. Elle s’assied tout au fond de l’auto, et reste silencieuse, elle ne boude pas ; si Guy de Morais lui parlait, elle trouverait des mots aimables pour lui répondre, elle songe cependant, elle est vaguement mécontente. Ce cérémonieux « Mademoiselle », dont il la fatigue continuellement. Ce soir, au milieu de ce plaisir entraînant, elle avait espéré qu’une fois au hasard, quand les mouvements rapides de la danse les rapprochaient une seconde, il lui dirait bas, très bas, pour elle seule : « Pierrette ». Elle l’avait espéré de nouveau ce mot à l’instant où il la couvrait de son manteau, et il n’était pas venu. En analysant ses sentiments elle rougissait. Avait-elle le droit d’accorder tant d’importance aux faits et gestes de Guy de Morais quand elle était moralement liée à Charlie ? Mais enfin, pour qui avait-elle fait tant de frais de toilette ce soir ? Pour qui avait-elle été si gentille ? Et tout cela en pure perte. Elle était lasse de penser et, avec le calme de la nuit, elle sentit monter en elle une grande lassitude.

Madame des Orties les attendait dans la salle à manger décorée avec goût de fleurs naturelles.