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Elle finit par prendre parti contre Charlie. Pourquoi s’embarrasser de ces scrupules puisqu’elle ne pouvait plus s’accomoder de ses manières. Le bonheur se présentait sous un autre aspect, ne serait-ce pas folie de le laisser passer sans étendre la main pour le saisir. Elle faisait effort pour se persuader que sa conduite était convenable. Au fond de son cœur, une voix, qu’elle ne pouvait arriver à faire taire à force d’arguments, protestait au nom de la loyauté, au nom de ses sentiments les plus nobles. Plus elle discutait avec cette voix, plus elle multipliait les preuves détruisant ses excuses prétendues bonnes.

La vie s’était chargée de la mûrir. Elle comprenait maintenant qu’elle n’avait jamais aimé Charlie. Ce mariage avait été arrangé entre sa mère et les parents du jeune homme. Elle devait y rencontrer toutes les garanties de bonheur, mais il y manquait la note romanesque : le grand amour, le choix libre. Et, sans qu’elle s’en doutât, ce sentiment, en traître, s’était glissé dans son cœur.

Tout cela n’empêchait pas qu’une rupture avec Charlie était une conduite déloyale, inqualifiable. Elle prit la résolution de ne plus revoir Guy de Morais.

Elle s’endormit aux petites heures. Quand Yvonne frappa à sa porte pour le déjeuner, elle répondit :

— Prévenez maman de ne pas m’attendre, je suis trop lasse pour descendre.

Son repas lui fut apporté sur un plateau. Sa mère vint prendre des nouvelles et se préparait à s’installer dans sa chambre et à lui tenir compagnie, mais désirant la solitude elle prétexta avoir grand besoin de sommeil, et pour cause, sa mère se retira, mais avant de laisser la chambre, elle lui dit :

— Tu as veillé trop tard, ma petite, il te faudra être plus raisonnable une autre fois.

Elle caressa les boucles brunes, et referma la porte sans bruit.