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tira et lui nouant autour du cou ses bras charmants maintenant si tenus, elle la supplia, la joue contre la sienne, d’écrire à Charlie. « Dis-lui que je ne suis pas assez bien pour le faire, et c’est vrai, parce que ce matin je ne me sens pas aussi remise qu’hier. »

Pierrette n’était pas prodigue de caresses ; il fallait qu’une émotion ou un sentiment très fort la secouât pour qu’elle sortît ainsi de sa réserve avec sa mère.

Quinze jours plus tard, Pierrette essaya ses premières sorties. Elle était exaspérée de se voir dans les vitrines des magasins. Son petit nez pointu lui paraissait énormément long, ses joues étaient creuses ; malgré son chaud manteau de fourrure, elle se sentait frissonner. Afin de ne pas inquiéter sa mère, elle ne dit rien. De plus, elle était contente de revoir le ciel bleu, d’un bleu froid, le soleil, bien qu’il fût blanc et sans chaleur. Elle regardait les enfants qui passaient en la frôlant, et elle se rappelait avec plaisir cette époque de sa vie pendant laquelle elle avait été si heureuse. Il lui sembla que jamais plus elle ne saurait l’être.

Un jour où le froid pinçait terriblement, elles rencontrèrent, pendant leur promenade, un petit garçon dont le pardessus était tout en lambeaux ; ses pieds étaient mal protégés par de mauvaises chaussures d’été, et des bas qui n’en avaient plus que le nom.

Il tendait une main nue, bleuie et gercée : « la charité pour l’amour du bon Dieu. »

Pierrette très impressionnable, ouvrit sa bourse et glissa un dollar dans la petite main. La maman se mit en devoir d’interroger l’enfant.

— As-tu des parents ?

— Oui, Madame.

— Que fait ton père ?

— Papa ne travaille pas, et quand il travaille, la mère ne voit jamais un sou de son argent.

Il passait dans les prunelles du pauvret, des reflets de haine et de mépris en parlant de son père.

— Où demeures-tu ? demande encore Madame des Orties.