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nement. Les mots la frappaient comme si elle les eût lus pour la première fois. Avec quelle insistance, Charlie répétait : « dites bien à Pierrette de m’écrire aussitôt qu’elle en sera capable ; pourtant, qu’elle ne se fatigue pas, je désire tant la savoir en parfaite santé comme autrefois. »

Lui écrire, pensait Pierrette, pour lui dire que je ne l’aime plus et que j’en aime un autre. Je ne m’en sens pas la force. Lui dire que je ne le savais pas moi-même, que je l’ai trahi inconsciemment, il ne me croira jamais. Lui laisser son illusion, ce n’est guère loyal. Lui dire de revenir, me condamner à vivre toute ma vie avec cet homme que je n’aime pas, je ne m’en sens pas le courage. Ce serait pourtant la seule conduite digne. Quel dilemme, et elle se prit à penser à cette lettre obligatoire.

Dans la pièce à côté, la bonne passait et repassait : elle s’approcha de Madame des Orties, et s’informa si Pierrette souperait à table ce soir-là.

— Oui, Yvonne, lui avait-il été répondu.

Quand Pierrette se dirigea en compagnie de sa mère vers la salle à manger, elle fut surprise de se sentir très lasse : elle avait été si bien toute l’après-midi. Elle causa peu et se retira de bonne heure.

Le lendemain, elle avait la fièvre, et Madame des Orties, inquiète, fit mander le médecin. Celui-ci hocha la tête :

— Trop de fatigue hier, la poursuite d’une idée fixe.

Et ce qu’il ne dit pas en le pensant quand même : « la forcerait-on à ce mariage ? » puis avec d’autres occupations, il oublia ce détail.

Pierrette n’avait pas dormi de la nuit et avait composé une multitude de lettres destinées à Charlie. Elle les prenait, les rejetait, et les reprenait pour les désavouer quelques minutes plus tard, tant elle les trouvait idiotes, et dépourvues de sens. Le matin la trouva fiévreuse et agitée. Quand sa mère se pencha pour l’embrasser et s’informer si elle avait bien dormi, elle l’at-