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du suif, suif absolu, et la partie liquide, huile absolue.

Nous avons dit que l’inconvénient principal qui s’oppose à l’emploi général de la chandelle, comme moyen d’éclairage, c’est sa fusibilité extrême, qui fait qu’à la température ordinaire, elle salit tout ce qu’elle touche, et que, pendant sa combustion, elle coule avec une facilité déplorable. On voit donc que le fait découvert par Braconnot, concernant la constitution générale des corps gras, pouvait conduire à perfectionner, d’une manière avantageuse, l’éclairage au moyen du suif. Puisque le suif est un mélange de deux substances, dont l’une est liquide et l’autre solide à la température ordinaire, il suffisait, pour faire disparaître la plus grande partie des inconvénients que les graisses présentent dans leur application à l’éclairage, de les priver de leur élément liquide, en les réduisant à la partie solide qu’ils renferment.

Dans une notice biographique sur Braconnot, remplie de faits intéressants et peu connus, M. Nicklès, professeur de chimie à la Faculté des sciences de Nancy, nous apprend que Braconnot essaya de fabriquer industriellement, avec l’aide d’un pharmacien de Nancy, F. Simonnin, des bougies composées de la partie solide du suif.

« Dès 1815, dit M. Nicklès, Braconnot avait entre ses mains l’acide stéarique, qui ne fut réellement découvert qu’en 1820 par M. Chevreul. Braconnot avait cependant reconnu que ce corps pouvait s’obtenir en traitant les corps gras soit par l’acide sulfurique, soit par les alcalis ; il avait remarqué qu’il s’unissait facilement avec les acides et qu’il était très-soluble dans l’alcool ; cependant, il ne sut pas reconnaître sa nature et se borna à le considérer comme une espèce de cire. Un pas de plus, et il constatait le véritable caractère de ce composé, qui a donné le jour à une grande et belle industrie, celle de la bougie de l’acide stéarique.

« Toutefois, il songeait à ce mode d’éclairage plus commode et moins insalubre, et un chimiste de ses amis, pharmacien à Nancy, M. F. Simonnin, avait pris l’initiative de la fabrication en grand. Dès 1818 il fabriqua de la bougie avec de la stéarine et en livra une assez grande quantité au commerce, mais ce n’était pas encore de l’acide stéarique, ou, si l’on veut, c’était, comme l’a fait voir M. Chevreul, cet acide, plus de la glycérine, moins de l’eau ; les bougies de stéarine avaient donc encore une grande partie des inconvénients de la chandelle, elles ne se mouchaient pas toutes seules, car les mèches tressées et imprégnées d’acide borique n’étaient pas inventées ; les temps, comme on le voit, n’étaient pas encore venus, la question n’était pas encore mûre ; aussi, pour l’amener à maturité, n’a-t-il fallu rien moins qu’une vingtaine d’années de travaux accomplis dans les divers centres civilisés[1]. »

M. Nicklès cite le texte du brevet d’invention qui fut décerné à Braconnot et Simonnin, pour l’exploitation de la bougie composée de stéarine et d’un peu de cire, que les inventeurs nommaient céromimène. Comme le fait remarquer M. Nicklès, cet épisode de l’histoire de la bougie stéarique est complètement ignoré des chimistes. Aussi rapporterons-nous le texte de cet important brevet.

Certificat de demande d’un brevet d’invention délivré aux sieurs Simonnin et Braconnot, domiciliés à Nancy (Meurthe).

La demande a été faite le 1er juillet 1818, le certificat a été délivré le 29 du même mois.

Voici la description des procédés relatés dans ce certificat.

« Le nouvel art que veulent créer les sieurs Braconnot et Simonnin, et pour lequel ils demandent à être brevetés par Sa Majesté, consiste dans la fabrication en grand d’une matière analogue à la cire et pouvant la remplacer dans plusieurs de ses usages, particulièrement pour l’éclairage. Cette matière, trouvée par le premier de ces chimistes dans toutes les graisses animales, en est retirée par le procédé suivant :

« On étend la graisse ou le suif dont on veut extraire la matière concrète avec une quantité variable d’une huile volatile, ordinairement celle de térébenthine. Le mélange est placé dans des boîtes circulaires, revêtues intérieurement de feutre et dont les parois latérales ainsi que le fond sont percés d’une multitude de petits trous, et soumis à une pression graduée et très-forte qui en exprime l’huile volatile ajoutée, et avec elle la partie la plus fluide de la graisse employée. La substance solide restée dans les boîtes en est retirée, on la fait bouillir longtemps avec de l’eau pour lui enlever l’odeur de l’huile volatile. Tenue ensuite en fusion pendant quelques heures avec du charbon animal récemment préparé, elle est filtrée bouillante. Refroidie, cette substance est

  1. Braconnot, sa vie et ses travaux, par J. Nicklès, professeur de chimie à la Faculté des sciences de Nancy, in-8. Paris, 1856, p. 56.