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depuis peu d’années dans les pays de l’Orient qui se livrent à cette industrie.

Ce n’est pas cependant sans des difficultés qui avaient fini par amener des troubles assez graves, que l’introduction de ces appareils a pu se réaliser au milieu des populations de l’Orient, animées de tous les vieux préjugés contre ce qui est neuf et insolite.

Nous trouvons dans le mémoire de M. P. Aublé, que nous avons déjà cité, le récit historique des premiers essais de l’emploi des scaphandres sur les côtes de l’Archipel ottoman, et des singulières oppositions qu’elle rencontra. Comme ce récit nous paraît devoir intéresser nos lecteurs, nous laisserons la parole à l’auteur de ce mémoire.

« La première machine, dit M. Aublé, qui travailla pour la pêche des éponges, fut amenée en Syrie par M. A. Coulombel, de la maison Coulombel frères et Devismes de Paris, il y a dix ans. Il avait avec lui un plongeur de Toulon qui devait enseigner aux pêcheurs d’éponges à se servir de l’appareil.

« Il fit donc la campagne lui-même avec son équipage ; mais un beau jour le plongeur français mourut, après des douleurs assez-mal définies qui le prirent au fond de la mer. On eut le temps de le retirer ; il ne survécut que quelques heures. Cet essai en resta là et découragea profondément celui qui l’avait tenté. Plus tard, le bruit très-vraisemblable se produisit que ce plongeur avait été empoisonné.

« On n’entendit plus parler de cette malheureuse expédition, et personne ne songeait à courir la responsabilité d’un nouvel essai, lorsqu’en 1860, un plongeur de Symi revint des Indes avec un scaphandre. Il avait travaillé avec des Anglais dans des machines permettant de descendre jusqu’à 30 brasses (49m,50). Ce fut pour le récompenser que ses maîtres lui donnèrent un appareil à plongeur, lorsqu’il partit. Il s’en servit pour la pêche des éponges et en tira un excellent profit. Il fut seul jusqu’en 1865. À cette époque, on apprit tout à coup qu’un scaphandre appartenant à une maison française de Constantinople et exploité par des gens de l’île de Calimnos venait d’être brisé par la population de cette île. On voulut faire un mauvais parti aux scaphandriers ; ils purent heureusement s’échapper. Nécessairement cela amena des menaces, des récriminations, des procès qui n’ont encore abouti à aucun résultat réel.

« L’élan était donné. Aussitôt on arma, pour la campagne de 1866, 2 scaphandres à Rhodes. Bientôt après, il y en avait 5 à Symi et une nouvelle à Calimnos même.

« Dans les îles, ce fut une révolution. La population, surexcitée, soulevée, menaça de briser tous les scaphandres, d’exiler, de tuer ceux qui s’en serviraient. On alla jusqu’à prêcher en pleine église la mort contre tout traître à la patrie (c’est ainsi qu’on appela ceux qui se servaient des machines). Ces menaces n’eurent pas de suite, mais à la rentrée des bateaux de pêche, au mois de septembre 1866, les troubles recommencèrent. Calimnos se mit à la tête, on y brisa le scaphandre qui s’y trouvait ; deux jours après les Symiotes brisaient tous ceux de leurs compatriotes. L’exaltation de ces gens était telle, que les enfants de dix ans venaient en troupe sommer les propriétaires de scaphandre de leur donner la clef de leur magasin et les y forçaient. En face d’un pareil état de choses, les deux machines de Rhodes furent envoyées immédiatement à Symi : c’était vouloir résoudre la question carrément ; on n’osa pas y toucher.

« Les Européens se demandaient s’il serait désormais possible de traiter avec une pareille population ; à Karki, on ne brisait pas de machines, mais on refusait de laisser partir des éponges achetées et payées.

« Ce fut un trouble général, la négation de toute espèce de droit, d’autorité ; les Européens demandaient une satisfaction pour empêcher le retour de semblables violences et assurer la sécurité de leurs transactions. Les insulaires, comprenant tous leurs torts et voulant les pallier, consentirent à payer une indemnité aux propriétaires des machines brisées ; c’était un dédommagement bien minime et illusoire, parce qu’on exigea en même temps une renonciation formelle aux machines à plongeur, sous peine d’exil et de confiscation de tous les biens. »

L’esprit turbulent et arriéré des populations des îles de l’Archipel, explique cette excitation extraordinaire. Il faut dire aussi que l’insurrection de l’île de Candie avait échauffé les têtes, et que les insulaires trouvaient dans ces événements une occasion de faire des démonstrations hostiles à la Turquie.

Hâtons-nous de dire que cette affaire fut complétement résolue en 1867, par les soins réunis des gouvernements français et ottoman. Le navire de guerre français le Forban, et une frégate turque portant le gouverneur de Rhodes, mirent fin à tous ces troubles, et l’on décréta la complète liberté de