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Cependant les plaintes s’élevèrent contre les appareils employés dans l’établissement d’Ackerman, à cause de l’écoulement de l’eau de chaux dans les égouts. Pour remédier à cet inconvénient, Samuel Clegg employa la chaux sèche ; mais on dut bientôt l’abandonner à cause de la quantité énorme qu’il fallait en perdre. On ne savait pas encore qu’il fallait disposer la chaux humectée d’eau en couche mince et sur une grande surface, pour obtenir, sans aucun embarras, une épuration irréprochable.

Ce n’était pas seulement dans le public anglais que régnaient de grandes préventions contre le gaz. Les savants eux-mêmes partageaient ces craintes. Le chimiste Humphry Davy, sans doute par un effet de l’humeur noire qui assombrit les derniers temps de son existence, était peu favorable à un système qu’il aurait dû, au contraire, appuyer de toutes ses forces, en sa qualité de chimiste plein d’autorité dans son pays. Il trouvait tellement ridicule le projet d’exécuter en grand l’éclairage par le gaz hydrogène, qu’il demanda si l’on avait l’intention de prendre le dôme de la cathédrale de Saint-Paul pour gazomètre. « J’espère, répondit Samuel Clegg, qu’il viendra un jour où les gazomètres ne seront pas plus petits que le dôme de Saint-Paul. »

Pour triompher des résistances du public et l’édifier sur les avantages de ce mode d’éclairage, une nouvelle compagnie qui s’était formée, et qui avait pris pour ingénieur Samuel Clegg, appropria et éclaira gratuitement un certain nombre de boutiques et de maisons dans la Cité de Londres. Mais les propriétaires ne consentaient qu’avec répugnance à se prêter à ces essais. On s’imaginait que les tuyaux de conduite du gaz devaient être toujours chauds, et par conséquent, exposer à l’incendie les lambris des maisons. Lorsqu’on éclaira au gaz les couloirs de la Chambre des communes, l’architecte insista pour que les tuyaux fussent placés à 10 ou 12 centimètres de distance du mur, crainte d’incendie. On voyait souvent les curieux appliquer leur main contre ces tuyaux, pour se rendre compte de la température.

Il était si difficile alors de se procurer des tuyaux de distribution pour le gaz, qu’on était obligé de les faire avec de vieux canons de fusils, que l’on vissait les uns au bout des autres.

Les compagnies d’assurance, cela va sans dire, faisaient objections sur objections contre l’emploi du gaz dans les habitations privées.

Cependant la question faisait des progrès, les résistances commençaient à diminuer, et l’on put songer à créer une usine à gaz. Elle fut établie en 1813, à Peter-Street (Westminster ) sous la direction de Samuel Clegg.

Dès que l’usine fut achevée, sir Joseph Banks et quelques autres membres de la Société royale de Londres, furent chargés d’examiner les appareils, et de faire un rapport sur les dangers ou l’utilité de cet établissement. La commission conclut qu’il fallait obliger la Compagnie à construire des gazomètres ne contenant pas plus de 170 mètres cubes chacun, et de plus, enfermés entre des murs très-solides.

Pendant que sir Joseph Banks et quelques autres membres de la commission, se trouvaient dans le bâtiment du gazomètre, et s’expliquaient avec vivacité sur les dangers qui résulteraient de l’approche d’une lumière près d’une fuite arrivée à un gazomètre, Samuel Clegg commanda d’apporter un foret et une chandelle. Puis il pratiqua avec le foret un trou dans l’enveloppe métallique du gazomètre, et à la grande frayeur de tous les assistants, il approcha la lumière du gaz qui s’en échappait à flots. Plusieurs des honorables savants, frappés de terreur, s’étaient empressés de se retirer loin du théâtre de cette téméraire expérience (fig. 66, page 121). Mais, à l’étonnement général, aucune explosion n’eut lieu.

Cette preuve matérielle de la sécurité des gazomètres ne put cependant détruire les