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l’esprit tourné vers les études scientifiques. Les deux frères firent comme avaient fait, avant eux, les deux Montgolfier : ils mirent en commun leurs idées, leur bourse, leurs espérances, pour se lancer à la poursuite d’inventions mécaniques. Une intimité touchante ne cessa, pendant leur vie entière, de lier ces deux hommes de bien.

Pendant leur séjour à la campagne, dans les environs de Nice, les frères Niépce conçurent l’idée d’une machine, qu’ils nommaient pyréolophore, dans laquelle l’air brusquement chauffé, puis refroidi, devait produire les effets de la vapeur. C’était le principe des machines à air chaud, ou machines d’Ericsson, dont nous avons parlé dans le premier volume de cet ouvrage, et sur lesquelles l’attention des mécaniciens se reporte aujourd’hui d’une manière décidée. On voit que les frères Niépce avaient le pressentiment des grandes choses.

Mais pour se livrer à des expériences mécaniques et entreprendre la construction d’appareils nouveaux, les deux frères étaient mal à l’aise dans un pays étranger pour eux. Le 23 juin 1807, ils revinrent tous les deux à la maison paternelle de Chalon-sur-Saône. Là, ils reprirent le cours de leurs travaux.

Le 3 août 1807, ils obtinrent un brevet d’invention de dix ans, pour leur pyréolophore. Cette machine, qui reposait sur la brusque dilatation de l’air par le calorique, développait une assez grande puissance. Les frères Niépce firent marcher pendant plusieurs jours, un bateau mû par cet appareil, sur les eaux de la Saône, ainsi que sur l’étang de Batterey, situé au milieu du bois de la Charmée, près de la maison de campagne des inventeurs, qui était située à Saint-Loup de Varennes, près de Châlon.

Cette machine fut l’objet d’un rapport flatteur adressé à l’Académie des sciences, par Carnot[1].

Peu de temps après, le gouvernement impérial ayant mis au concours les plans d’une machine hydraulique, destinée à remplacer celle de Marly, qui élevait les eaux de la Seine jusqu’à Versailles, les frères Niépce envoyèrent, pour ce concours, le modèle d’une pompe, qu’ils nommaient hydro-statique, et qui renfermait un marteau d’eau, comme le bélier hydraulique de Montgolfier. Carnot adressa aux frères Niépce une lettre flatteuse à l’occasion de cette nouvelle machine, dont le projet ne fut pas, d’ailleurs, poussé plus loin.

Sous l’Empire, le blocus continental privait la France de la plupart des produits nécessaires à son industrie. Il fallait adresser un appel au génie des inventeurs, pour suppléer, par la fabrication nationale, aux produits du dehors, sévèrement consignés à nos frontières. La plante indigène qui porte le nom de pastel (Isatis tinctoria) peut remplacer l’indigo, matière tirée des Indes, et qui alors manquait totalement en France, par suite de l’interruption des relations commerciales avec le dehors. Le gouvernement encouragea donc la culture du pastel, par un décret du 14 janvier 1813, accordant des primes aux producteurs de cette matière colorante. Les frères

  1. Voici ce rapport de Carnot :

    « Le combustible employé ordinairement par MM. Niépce est le lycopode, comme étant de la combustion la plus vive et la plus facile ; mais comme cette matière est coûteuse, ils la remplaceraient en grand par la houille pulvérisée, et mélangée, au besoin, avec une très-petite portion de résine, ce qui réussit très-bien, ainsi que nous nous en sommes assurés par plusieurs expériences.

    « Dans l’appareil de MM. Niépce aucune portion du calorique n’est dissipée d’avance ; la force mouvante est un produit instantané, et tout l’effet du combustible est employé à produire la dilatation qui sert de force mouvante.

    « Suivant une autre expérience, la machine placée sur un bateau qui présentait une proue d’environ deux pieds de largeur sur trois pieds de hauteur, réduite dans la partie submergée, et pesant environ neuf quintaux, a remonté la Saône par la seule action du principe moteur, avec une vitesse plus grande que celle de la rivière dans le sens contraire ; la quantité de combustible employée étant d’environ cent vingt-cinq grains par minute, et le nombre de pulsations de douze ou treize dans le même temps.

    « Les commissaires pensent donc que la machine proposée sous le nom Pyréolophore par MM. Niépce est ingénieuse, qu’elle peut devenir très-intéressante par ses résultats physiques et économiques, et qu’elle mérite l’approbation de la classe. »