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vaporisation. Un froid intense, dû à une abondante soustraction de calorique, se produit ainsi à la surface, et jusqu’à une certaine profondeur de la peau. Bientôt l’anesthésie arrive ; la peau pâlit, durcit, devient insensible, et la perte de sensibilité se propage dans la profondeur des tissus.

Comment agit l’éther dans cette circonstance ? Produit-il l’anesthésie tout simplement par le froid, ou par une action stupéfiante spéciale, qu’il exercerait sur les nerfs périphériques, ainsi que l’a soutenu M. Richet ? Il est probable que la réfrigération considérable, que provoque la vaporisation de l’éther, est la seule cause de l’anesthésie. Il est établi, en effet, que l’éther n’agit point tant qu’il reste liquide. On sait, d’un autre côté, que l’évaporation de l’éther produit un froid de — 10 à — 20° ; ce qui prouve qu’il peut parfaitement remplacer, comme moyen réfrigérant, la glace ou les mélanges de glace et de sel. Des expériences faites par MM. Betbèze et Bourdilliat, internes des hôpitaux de Paris, ont mis ce phénomène hors de doute.

On a fait, dans le service chirurgical de M. Demarquay, à l’hospice Beaujon, de nombreuses applications de l’appareil de M. Richardson que nous avons représenté figure 354, page 692. Avant d’en faire usage, M. Demarquay fait bander les yeux du patient. Cette précaution permet souvent d’opérer les malades à leur insu, et de bien distinguer ainsi les effets de l’émotion de ceux de la douleur.

Dans un mémoire publié par MM. Betbèze et Bourdilliat[1], on trouve de nombreux faits, ou observations, comme on le dit en médecine, relatives à ce nouveau moyen d’anesthésie locale. Nous mentionnerons plus spécialement celle qui concerne l’extraction d’une balle.

Un jeune homme de vingt-neuf ans, se présente à l’hôpital, avec une plaie produite par une arme à feu, dans la région temporale droite. La balle existe encore au fond de la plaie. Dirigée obliquement, d’arrière en avant, elle est fixée à 3 centimètres de l’apophyse orbitaire externe, dans l’épaisseur de laquelle elle est fortement engagée. Les téguments, enflammés, présentent un engorgement considérable. Après avoir exploré la plaie, M. Demarquay provoque l’anesthésie locale, pour extraire le projectile. L’éthérisation abaisse la température des tissus à — 11 degrés, et une incision en croix assez profonde ne cause aucune douleur au malade. On retire la balle au moyen d’une spatule agissant comme levier.

Cette observation montre tout l’avantage qu’on pourrait retirer de l’anesthésie locale, pour l’extraction des projectiles, opération qui se fait à chaque instant sur les champs de bataille.

L’anesthésie locale, obtenue par l’éther pulvérisé, prévient la douleur dans la grande majorité des cas observés. Dans les autres, la sensibilité paraît au moins fort émoussée. La profondeur à laquelle s’étend l’insensibilité est de 4 à 5 centimètres. Le temps nécessaire pour l’obtenir varie d’une à cinq minutes ; il est, en moyenne de deux à trois minutes. La température des tissus varie de — 12° à — 15°. Les hémorrhagies sont rares ou insignifiantes,

Il est certaines précautions qu’il ne faut pas négliger dans l’emploi de l’éther, comme réfrigérant. Nous dirons d’abord, qu’un médecin d’un peu de bon sens, ne s’avisera pas de pratiquer une cautérisation au fer rouge, sur une partie humectée d’éther, liquide combustible, qui s’enflammerait nécessairement au contact du métal incandescent. Il faut se rappeler aussi que les vapeurs d’éther, répandues en grande quantité dans une pièce de dimensions exiguës, pourraient prendre feu, et causer un incendie.

À part ces inconvénients, qu’il est facile d’éviter, avec un peu de prudence, l’éther semble présenter une supériorité réelle sur

  1. Union médicale des 16 et 21 juin 1856.