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1853, devint, dans le sein de cette Société, le texte d’une longue et intéressante discussion, où furent successivement approfondies toutes les questions qui se rapportent à l’emploi des anesthésiques et les moyens de parer aux dangers qui en résultent. Cette discussion a démontré que, dans un nombre assez considérable de cas, le chloroforme a déterminé la mort des opérés, sans que rien, dans les moyens employés pour son administration, puisse être invoqué, afin d’en expliquer le résultat funeste.

En juillet 1857, la question des dangers de la méthode anesthésique a été agitée de nouveau devant l’Académie de médecine de Paris. Ce qui est résulté surtout de cette nouvelle discussion, soulevée à l’occasion d’un travail de M. Devergie, c’est la démonstration du peu d’utilité, et dans quelques cas, des dangers que présentent les appareils pour l’administration du chloroforme. On s’est fréquemment servi jusqu’ici, pour faire respirer le chloroforme et surtout l’éther, de divers appareils d’inhalation. Ils se composent d’un tube terminé par une embouchure qui s’applique sur la bouche ; une soupape disposée sur le trajet de ce tube sert à l’entrée de l’air inspiré et qui a traversé le réservoir contenant le liquide anesthésique ; une autre soupape donne issue à l’air expiré. Mais le jeu de ces soupapes peut quelquefois n’être pas réglé avec assez d’exactitude pour que le mélange d’air et de vapeurs anesthésiques, qui s’introduit dans les poumons, contienne la quantité d’air nécessaire à l’entretien de la respiration. Le malade est alors exposé à périr, non par l’action délétère de l’agent anesthésique, mais par asphyxie. L’Académie de médecine conseille donc, et avec raison, de rejeter tout appareil inhalateur, et de se borner à faire respirer le chloroforme en le versant sur un linge plié ou dans le creux d’une éponge. L’asphyxie peut ainsi être toujours évitée, car on n’a pas à craindre le manque d’air respirable.

En résumé, dans un certain nombre de cas, le chloroforme a amené la mort, soit par l’oubli des précautions qui sont nécessaires pendant son administration, ce qui a déterminé l’asphyxie, soit par suite de l’existence, chez l’individu, de certaines affections organiques, soit enfin en raison de l’action toxique que l’on ne peut s’empêcher de reconnaître au chloroforme, action que certaines idiosyncrasies peuvent rendre accidentellement plus grave. Faut-il, cependant, d’après ce petit nombre de résultats malheureux, et en regard du nombre immense de faits contraires, renoncer aux bienfaits de la méthode anesthésique et la bannir sans retour de la scène chirurgicale ? Il y aurait de la folie à le prétendre. Autant vaudrait renoncer aux machines à vapeur, à cause des désastres qu’elles ont souvent provoqués, aux chemins de fer, en raison des malheurs qu’ils ont pu produire. Il faudrait abandonner, au même titre, tous ces agents héroïques de la médecine interne, qui rendent tous les jours à l’humanité des services immenses, et qui ne sont pas sans avoir amené sans doute quelques résultats semblables. Si l’on dressait pour l’opium, pour le quinquina, pour la saignée, pour les purgatifs, pour l’émétique, un relevé pareil à celui que l’on a dressé pour le chloroforme et l’éther, nul doute que l’on ne dévoilât un plus triste nécrologe. Voudrait-on, pour cela, répudier ces médicaments précieux ? Assurément, ce n’est pas ainsi qu’il faut entendre le progrès scientifique. Le progrès consiste à tenir compte de ces accidents pour surveiller, pour perfectionner, pour régulariser l’emploi de ces divers moyens, qui, à côté de leurs avantages, ont aussi leurs dangers, et qui n’offrent ces dangers que parce qu’ils ont ces avantages : une substance ne peut jouir, en effet, d’une certaine efficacité thérapeutique qu’à condition d’exercer sur l’économie une action plus ou moins profonde. L’art réside à diriger convenablement l’exercice de cette action pour le faire tourner au profit de la science et de l’humanité.