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ment sur cette considération. La seule appréhension de la douleur est déjà pour les malades une source de dangers. Les ouvrages de chirurgie en fournissent des preuves nombreuses, et l’on ne manque pas de citer, dans les cours de pathologie externe, le fait de ce malade qui mourut entre les mains de Desault, par le seul effet de la terreur que lui fit éprouver le simulacre de l’opération de la taille, que ce chirurgien exécutait en promenant son ongle sur la région périnéale. Le Journal de médecine de Bordeaux a rapporté, au mois de mai 1850 un fait presque semblable : un malade mourut de terreur au moment où M. Cazenave, s’apprêtant à lui faire subir l’opération de la taille, se mettait seulement en devoir d’introduire une sonde dans l’urètre.

Si l’appréhension seule de la douleur peut amener une si fatale issue, il est facile de comprendre l’influence funeste que cet élément doit exercer lorsqu’il est porté à un haut degré d’intensité. « La douleur est mère de l’inflammation, » a dit Sarcone, — « la douleur est mère de la mort, » pourrait-on ajouter. Les cas où la douleur seule a causé la mort par son intensité et sa durée, ne sont pas rares dans les annales de la chirurgie, et la chronique des hôpitaux n’est pas muette en récits de ce genre. On peut dire que, dans plusieurs de ces opérations graves et de longue durée, qui amènent fréquemment une issue funeste, telles que la taille et la désarticulation des membres, le patient a commencé de mourir sur la table. Dans son traité de l’Irritation constitutionnelle, le chirurgien anglais Travers, consacre une section de son livre à l’examen des effets de la douleur chirurgicale, et il entre en matière par cette phrase : « La douleur, quand elle a atteint un certain degré d’intensité et de durée, suffit pour donner la mort. » Delpech avait posé en principe qu’une opération ne saurait durer plus de trois quarts d’heure sans devenir une chance probable de mort ; encore est-il nécessaire, ajoutait-il, d’interrompre la douleur par des intervalles de repos. « La douleur tue comme l’hémorrhagie, » a dit Dupuytren. Selon ce grand chirurgien, l’épuisement de l’influx nerveux peut amener la mort, comme l’épuisement du sang.

Les suites et les conséquences de la douleur chirurgicale sont une autre source de dangers qui ont fait l’objet constant de l’étude des opérateurs. La douleur intense et prolongée qui accompagne certaines opérations chirurgicales, amène à sa suite un triste cortège d’effets morbides, qui réclament une grande part dans le chiffre effrayant que la statistique nous révèle touchant la mortalité des opérés. Les accidents nerveux, les convulsions, cette forme particulière de délire qui atteint les opérés, et qui porte le nom significatif de délire traumatique, la stupeur et quelquefois le tétanos, sont des conséquences naturellement et directement liées à l’ébranlement profond, provoqué au sein de l’économie par l’excès de la douleur. En supprimant cet élément, la méthode des inhalations anesthésiques conjure évidemment ses redoutables effets.

Si ces considérations n’étaient que la déduction simple et logique tirée à priori de l’examen général de la question, elles n’auraient ici qu’une valeur secondaire ; mais l’expérience des faits recueillis depuis plusieurs années, leur prête la force d’une vérité démontrée. La statistique est venue en outre leur fournir son irrécusable appui. MM. Simpson d’Édimbourg, Phillips de Liége, Malgaigne et Bouisson, ont dressé, avec des soins minutieux, le tableau statistique d’un grand

    de justifier l’attention qu’il a provoquée pendant les premiers temps de la méthode anesthésique ; on y chercherait en vain les ressources habituellement invoquées pour soutenir honorablement un paradoxe. Le discours Sur l’utilité de la douleur n’est qu’un vain assemblage de lieux communs et de trivialités. La douleur y est représentée comme un don précieux de la nature, comme un baume salutaire. Enfin on arrive à cette conclusion aussi belle que neuve : L’homme doit chérir l’école du malheur !