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pression de l’éther, qui, franchissant dès lors la limite des actions physiologiques, se transforme en un poison mortel. Nous n’avons pas besoin de dire que cette seconde période de l’anesthésie n’a pu être étudiée que sur les animaux et dans un but expérimental et scientifique. On a reconnu ainsi que, lorsque l’inspiration des vapeurs éthérées est poussée au delà du terme d’insensibilité, l’abaissement de la température normale du corps est le premier signe qui décèle l’oppression des forces organiques. Bientôt la respiration s’embarrasse et s’arrête par suite de la paralysie des organes qui président à cette fonction ; le sang qui coule dans les artères devient noir et perd ses caractères de sang artériel, ce qui indique l’état d’asphyxie et l’arrêt de ce phénomène indispensable à la vie qui consiste dans la transformation du sang veineux en sang artériel. Enfin le cœur cesse de battre ; la paralysie, qui a successivement atteint tous les organes importants de l’économie, a fini par envahir le cœur lui-même, dans lequel, aux suprêmes instants de la vie, les forces organiques semblent se réfugier comme dans le dernier et le plus inviolable asile. Cette paralysie du cœur est irrémédiable : c’est la mort.

Tels sont les effets généraux auxquels donne lieu l’introduction dans l’économie, des vapeurs éthérées. Pour mieux apprécier maintenant les caractères et la nature de cet état physiologique, il faudrait reprendre et examiner en détail chacun des traits de ce tableau. Mais une étude de ce genre exigerait des développements qui ne sauraient trouver ici leur place. Nous ne considérerons que la moitié de la scène générale qui vient d’être exposée, c’est-à-dire cette période de l’éthérisation que l’on pourrait appeler chirurgicale, dans laquelle la sensibilité et les facultés intellectuelles sont opprimées ou abolies, sans que la vie soit encore menacée. Nous n’examinerons même que quelques traits de cet ensemble, et négligeant les effets locaux et primitifs de l’éther, laissant de côté la question ardue et controversée de la nature et du siége des troubles nerveux provoqués par l’anesthésie, nous nous bornerons, à étudier les altérations que subissent, pendant l’état anesthésique, la sensibilité et les facultés intellectuelles.

M. Bouisson a consacré un des meilleurs et des plus curieux chapitres de son livre à l’étude des modifications de la sensibilité pendant l’éthérisme. En comparant tous les faits qui se rapportent à cette question, il établit que la perturbation apportée par les vapeurs anesthésiques, dans l’exercice de la sensibilité, peut se résumer en disant que cette faculté est successivement ébranlée, décomposée et détruite.

Avant d’être abolie, la sensibilité commence à se troubler, et c’est là ce qui donne lieu, selon M. Bouisson, à la perversion que l’on remarque aux premiers instants de l’état anesthésique, dans l’ordre et le mode habituels des perceptions sensitives. Les impressions qui viennent du dehors sont encore accusées, mais elles sont mal comprises et rapportées fautivement à des causes qui ne les ont pas produites. L’individu éthérisé perçoit en même temps ces sensations nommées subjectives, c’est-à-dire qui n’ont pas leur cause provocatrice dans le monde extérieur. C’est ainsi que s’expliquent ces sensations particulières de froid ou de chaud, de fourmillement, de vibrations nerveuses irrégulières qui parcourent les membres, sans que l’on puisse assigner à leur transmission une direction anatomique. Telles sont encore ces sensations composées, agréables et pénibles à la fois, que Lecat nommait hermaphrodites, et dont la nature est trop spéciale et l’appréciation trop personnelle, pour qu’il soit possible d’en donner une idée fidèle avec les seules ressources de la description. C’est pendant ce premier trouble apporté à l’exercice normal de la sensibilité, que l’on observe quelquefois une exaltation marquée de cette fonction. On sait que les malades que l’on opère après une