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de Recherches chimiques sur l’oxyde nitreux et sur les effets de sa respiration, Humphry Davy donne le résumé suivant de sa première expérience :

« Après avoir préalablement bouché mes narines et vidé mes poumons, je respirai quatre quarts de gaz[1] contenus dans un petit sac de soie. La première impression consista dans une pesanteur de tête avec perte du mouvement volontaire. Mais une demi-minute après, ayant continué les inspirations, ces symptômes diminuèrent peu à peu et firent place à la sensation d’une faible pression sur tous les muscles ; j’éprouvais en même temps dans tout le corps une sorte de chatouillement agréable, qui se faisait particulièrement sentir à la poitrine et aux extrémités. Les objets situés autour de moi me paraissaient éblouissants de lumière et le sens de l’ouïe avait acquis un surcroît de finesse. Dans les dernières inspirations, ce chatouillement augmenta, je ressentis une exaltation toute particulière dans le pouvoir musculaire, et j’éprouvai un besoin irrésistible d’agir.

« Je ne me souviens que très-confusément de ce qui suivit : je sais seulement que mes gestes étaient violents et désordonnés. Tous ces effets disparurent lorsque j’eus suspendu l’inspiration du gaz ; dix minutes après, j’avais recouvré l’état naturel de mes esprits ; la sensation du chatouillement dans les membres se maintint seule pendant quelque temps.

« J’avais fait cette expérience dans la matinée ; je ne ressentis pendant tout le reste du jour aucune fatigue, et je passai la nuit dans un repos complet. Le lendemain, le souvenir de ces différents effets était presque effacé de ma mémoire, et si des notes prises immédiatement après l’expérience ne les eussent rappelés à mon souvenir, j’aurais douté de leur réalité.

« Je croyais pouvoir mettre quelques-unes de ces impressions sur le compte de la surprise et de l’enthousiasme que j’avais éprouvés, lorsque je ressentis ces émotions agréables au moment où je m’attendais, au contraire, à éprouver de pénibles sensations. Mais deux autres expériences faites dans le cours de la journée, en m’armant du doute, me convainquirent que ces effets étaient positivement dus à l’action du gaz. »

Le gaz qui avait servi à cette première expérience était mêlé d’une certaine quantité d’air : Humphry Davy respira quelques jours après le protoxyde d’azote pur.

« Je respirai alors, dit-il, le gaz pur. Je ressentis immédiatement une sensation s’étendant de la poitrine aux extrémités ; j’éprouvais dans tous les membres comme une sorte d’exagération du sens du tact. Les impressions perçues par le sens de la vue étaient plus vives, j’entendais distinctement tous les bruits de la chambre, et j’avais très-bien conscience de tout ce qui m’environnait. Le plaisir augmentant par degrés, je perdis tout rapport avec le monde extérieur. Une suite de fraîches et rapides images passaient devant mes yeux ; elles se liaient à des mots inconnus et formaient des perceptions toutes nouvelles pour moi. J’existais dans un monde à part. J’étais en train de faire des théories et des découvertes quand je fus éveillé de cette extase délirante par le docteur Kinglake qui m’ôta le sac de la bouche. À la vue des personnes qui m’entouraient, j’éprouvai d’abord un sentiment d’orgueil, mes impressions étaient sublimes, et pendant quelques minutes je me promenai dans l’appartement, indifférent à ce qui se disait autour de moi. Enfin, je m’écriai avec la foi la plus vive et de l’accent le plus pénétré : Rien n’existe que la pensée ; l’univers n’est composé que d’idées, d’impressions de plaisir et de souffrance.

« Il ne s’était écoulé que trois minutes et demie durant cette expérience, quoique le temps m’eût paru bien plus long en le mesurant au nombre et à la vivacité de mes idées ; je n’avais pas consommé la moitié de la mesure de gaz, je respirai le reste avant que les premiers effets eussent disparu. Je ressentis des sensations pareilles aux précédentes ; je fus promptement plongé dans l’extase du plaisir, et j’y restai plus longtemps que la première fois. Je fus en proie pendant deux heures à l’exhilaration. J’éprouvai plus longtemps encore l’espèce de joie déréglée décrite plus haut, qui s’accompagnait d’un peu de faiblesse. Cependant elle ne persista pas ; je dînai avec appétit, et je me trouvai ensuite plus dispos et plus gai. Je passai la soirée à préparer des expériences ; je me sentais plein d’activité et de contentement. De 11 heures à 2 heures du matin, je m’occupai à transcrire le récit détaillé des faits précédents. Je reposai très-bien, et le lendemain je me réveillai avec le sentiment d’une existence délicieuse qui se maintint toute la journée. »

Davy continua pendant plusieurs mois ces curieuses expériences. L’exhilaration et l’exaltation de la force musculaire étaient les phénomènes qui marquaient surtout l’état étrange où le plongeait la respiration du protoxyde d’azote.

« Jusqu’au mois de décembre, dit-il, j’ai répété plusieurs fois les inspirations de gaz. Loin de diminuer, ma susceptibilité pour ses effets ne faisait que s’accroître ; six quarts étaient le volume de gaz qui m’était nécessaire pour les provoquer, et je ne pro-

  1. Le quart anglais équivaut à 1lit, 1