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talents. Sorti en effet d’une très-obscure origine, et malgré des conditions très-défavorables, le jeune apprenti avait déjà accompli, sans secours et dans l’isolement de ses réflexions, quelques travaux préliminaires qui dénotaient pour les sciences physiques, les dispositions les plus brillantes.

Guilbert était lié, à cette époque, avec le docteur Beddoes, chimiste et médecin, dont le nom a joui d’un certain crédit à la fin du dernier siècle. Quelques mois auparavant, Beddoes venait de fonder à Clifton, petit bourg situé aux environs de Bristol, un établissement connu sous le nom d’Institution pneumatique, consacré à étudier les propriétés médicales des gaz. Personne n’ignore que c’est en Angleterre, par les travaux de Cavendish et de Priestley, que les fluides élastiques ont été découverts pour la première fois. À la fin du siècle dernier, l’étude de cette forme nouvelle de la matière avait imprimé aux travaux scientifiques un élan considérable ; les recherches sur les gaz se succédaient sans interruption, et les médecins s’appliquaient en même temps à étudier, dans le domaine de leur art, les applications de ces faits. D’un autre côté, Lavoisier venait de créer en France sa théorie chimique de la respiration, éclair de génie qui illumina la science entière et vint prêter aux travaux sur les fluides élastiques un intérêt de premier ordre. C’est sous l’influence de cette double impulsion que le docteur Beddoes avait fondé son Institution pneumatique. Cet établissement renfermait un laboratoire pour les expériences de chimie, un hôpital pour les malades destinés à être soumis aux inhalations gazeuses et un amphithéâtre pour les leçons publiques. Il avait été élevé à l’aide de souscriptions, suivant l’usage anglais. James Watt, un des principaux actionnaires, avait exécuté lui-même, dans les ateliers de Soho, les appareils servant à la préparation et à l’administration des gaz. Pour diriger son laboratoire, le docteur Beddoes avait besoin d’un chimiste habile : Guilbert n’hésita pas à offrir cette place au jeune apprenti, et c’est ainsi que le 1er mars 1798, Humphry Davy, à peine âgé de vingt ans, quitta l’obscure boutique où s’était écoulée une partie de sa jeunesse, et vint débuter dans la carrière où l’attendait tant de gloire.

Dans l’Institution pneumatique, Davy fut spécialement chargé d’étudier les propriétés chimiques des gaz et d’observer leur action sur l’économie vivante. Par le plus singulier des hasards, le premier gaz auquel il s’adressa fut le protoxyde d’azote, c’est-à-dire celui de tous ces corps qui exerce sur nos organes l’action la plus extraordinaire. Rien, parmi les faits qui existaient alors dans la science, ne permettait de prévoir les phénomènes étranges qui vinrent s’offrir à son observation.

Il commença par faire une étude approfondie des propriétés et de la composition du protoxyde d’azote, et par déterminer les procédés les plus convenables pour l’obtenir. Il s’occupa ensuite de reconnaître ses effets sur la respiration. C’est le 11 avril 1799 qu’il exécuta cet essai pour la première fois, et constata la propriété enivrante de ce gaz. Il éprouva d’abord une sorte de vertige, mais bientôt le vertige diminua, et des picotements se firent sentir à l’estomac ; la vue et l’ouïe avaient acquis un surcroît d’énergie. Vers la fin de l’expérience, il se développa un sentiment tout particulier d’exaltation des forces musculaires : l’expérimentateur ressentait un besoin irrésistible d’agir et de se mouvoir. Il ne perdait pas complètement la conscience de ses actions, mais il était dans une espèce de délire, caractérisé par une gaieté extraordinaire et par une notable exaltation des facultés intellectuelles.

Les faits observés à cette occasion par Humphry Davy sont devenus, selon nous, le point de départ de la méthode anesthésique ; nous devons donc les faire connaître avec quelques détails. Dans l’ouvrage étendu qu’il publia à cette occasion en 1799, sous le titre