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sie. — Telle fut l’exclamation générale de la part des voyageurs.

— Le ciel est pur ; le vent est doux : nous sommes plus favorisés que vous ne le croyez, Messieurs, reprit M. Nadar. Souhaitons de ne pas tomber dans la mer, et remercions M. Le Verrier.

« Le désir de M. Nadar eût été de faire un très-long voyage, de passer toute la nuit en ballon, et de commencer les observations scientifiques le lendemain, dès l’apparition de l’aurore. Mais pour cela un vent soufflant de l’ouest eût été nécessaire. Le contraire se présentait : il fallait bien faire contre mauvaise fortune bon cœur.

« La commission scientifique, nommée par le gouvernement belge et composée de MM. Sterckx, aide-de-camp du ministre de la guerre ; Léon de Rote, ingénieur des ponts et chaussées ; Frédérik, lieutenant d’infanterie, — se mit alors à placer dans la nacelle tous nos instruments (baromètre à siphon de Fortin, hygromètre condenseur de M. Regnault, thermomètre à minima de Walferdin, boussole à réflexion, etc.) — avec un certain regret, car elle prévoyait — on vient de le voir, — que nous ne serions pas dans les airs, le lendemain, pour faire au grand jour toutes nos expériences…

« Au moment du départ, le baromètre Fortin de la nacelle indiquait une pression de 769 mill. 72 après réduction à 0, et le thermomètre marquait 15 degrés.

« Nous traversâmes Bruxelles de l’est à l’ouest, et nous prîmes la direction de Ninove, qui se trouve à l’ouest de la ville. Il était 5 heures 50.

« La boussole à réflexion, que nous avons consultée, donnait pour l’angle de notre direction avec le nord 372 degrés. Nous allions donc vers l’ouest avec 2 degrés nord.

« Le baromètre marquait 715 mill. 12, et le thermomètre 12 degrés. Nous étions donc à une hauteur de 620 mètres.

« Nous fûmes spectateurs d’un splendide coucher du soleil. L’horizon était cerclé d’une bande de feu d’un rouge éclatant, qui se bronza bientôt, et fut éteinte par une nuit sans lune et très-noire. Les étoiles brillaient d’une vive splendeur dans un fond sombre et répandaient comme une vague lumière, mais insuffisante pour nous voir d’un bout à l’autre de la nacelle ; nous ne pouvions lire ni l’heure à nos montres ni les graduations de nos instruments, à moins de nous servir d’une lampe de Davy, allumée à l’avance, mais éclairant trop peu pour permettre de bonnes observations.

« Nous avons souvent senti sur la nacelle une légère brise, qui devait coïncider avec chaque changement de direction et de courant. C’est M. Nadar, le premier, qui a observé ce fait dans ses précédents voyages, contrairement au dicton aérostatique disant qu’une bougie allumée dans la nacelle ne serait jamais éteinte.

« À 7 heures, nous passions au-dessus de Ninove ; à 8 heures, nous planions au-dessus d’Audenarde. Nous demandâmes avec un porte-voix où nous étions, et nous entendîmes très-distinctement répondre : — Audenarde !

« À 8 heures 30 minutes, nous passions sur Courtrai. Jusqu’à 9 heures 30 minutes, nous nous sommes dirigés vers le nord-ouest. À partir de ce moment, le ballon prit une direction vers la droite, c’est-à-dire plus boréale. Ce changement a été constaté par les aéronautes. Le Géant même sembla s’arrêter un instant, hésiter et attendre une décision de la part du vent, qui était très-faible.

« Au bout de quelques minutes, nous reprîmes la direction du nord-ouest, non sans être promenés dans divers sens au-dessus de la Flandre occidentale, poussés et repoussés tour à tour par le vent d’est, qui nous avait amenés et la brise de mer qui soufflait de la côte en sens presque opposé.

« Quand nous avons changé de direction, après avoir passé au-dessus de Courtrai, nous avons alors suivi une route mieux déterminée et notre vitesse s’est accélérée. Nous avons pris la résultante de la rencontre des deux courants d’est et de nord-ouest. Nous avons vérifié ce fait, le lendemain matin, en relevant à la boussole à réflexion, la direction du guide-rope tendu derrière la nacelle et que traînait le ballon sur le sol. Il nous a donné la projection horizontale de la route tracée dans l’air par le Géant, et nous avons trouvé qu’il allait de l’E.-N.-E. à l’O.-S.-O., c’est-à-dire que, si nous n’étions pas descendus à Ypres, l’aérostat passait au-dessus de Boulogne, traversait la Manche, en suivant le sud de l’Angleterre et allait se perdre dans l’océan Atlantique.

« Lorsque nous avons vu que l’aérostat accélérait sa vitesse et que nous allions rapidement vers la mer, M. Nadar a ordonné la manœuvre pour la descente. À ce moment, nous sentions un froid très-vif, malheureusement, il nous a été impossible d’observer le thermomètre. Au bout de dix minutes, nous touchions mollement la terre, à 10 heures du soir, après quatre heures quinze minutes de navigation aérienne.

« Nous demandâmes où nous étions à des paysans qui s’enfuirent d’abord et ne revinrent auprès de nous qu’avec mille précautions, et ils nous répondirent : « Hameau de Saint-Julien, à 6 kilomètres au-dessus d’Ypres, à 26 kilomètres de la mer et à 105 kilomètres de Bruxelles. »

À l’époque de l’Exposition universelle de 1867, M. Nadar a cédé la propriété du Géant à une compagnie. Quatre ascensions ont été faites. Le lieu du départ était l’esplanade des Invalides, que l’on avait complétement entourée d’une enceinte, pourvue de portes à guichets ne s’ouvrant qu’aux specta-