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citer les noms de plus de quinze cents aéronautes, et parmi eux il en est plusieurs qui se sont élevés plus de cent fois dans l’atmosphère. On peut évaluer à quinze mille le nombre total d’ascensions qui ont été effectuées jusqu’à l’année 1867. Sur ce nombre, on n’en compte pas plus de quinze dans lesquelles les aéronautes aient trouvé la mort. Ces chiffres peuvent rassurer sur les périls qui accompagnent les ascensions aérostatiques. Seulement, il faut savoir que, dans ce métier, le moindre oubli de certaines précautions peut entraîner les plus déplorables suites.

S’il fallait citer un exemple qui démontrât une fois de plus, combien la circonspection et la prudence sont des qualités indispensables dans ces frivoles exercices, il nous suffirait de rappeler la mort de l’aéronaute Georges Gale, qui produisit à Bordeaux, en 1850, une sensation pénible.

Georges Gale, ancien lieutenant de la marine royale d’Angleterre, s’était associé avec un de ses compatriotes, Cliffort, qui possédait un ballon magnifique ; et ils se livraient ensemble à la pratique de l’aérostation. Tout Paris a admiré son adresse et son courage dans ses ascensions équestres, imitées de celles de M. Poitevin. C’est en faisant une ascension de ce genre, qu’il périt à Bordeaux, le 9 septembre 1850.

Georges Gale avait l’habitude, au moment de partir pour ses voyages aériens, de s’exciter par un abus de liqueurs alcooliques. La consommation avait été ce jour-là plus considérable que de coutume ; son exaltation était telle que Cliffort en fut effrayé, et manifesta à son compatriote le désir de monter à sa place. Mais Gale repoussa sa proposition, et s’élança dans les airs.

Le voyage, qui dura près d’une heure, fut cependant exempt de tout accident, et à 7 heures du soir, l’aéronaute descendait dans la commune de Cestas. Quelques paysans accoururent, saisirent l’aérostat, et dessanglèrent le cheval. Cependant le vent soufflait avec violence, et le ballon, délesté d’un poids considérable, faisait violemment effort pour se relever. Gale, resté dans la nacelle, indiquait aux paysans les manœuvres à exécuter pour le retenir. Par malheur il parlait anglais, et cette circonstance, jointe à son exaltation et à son impatience naturelle, empêchait les paysans de bien exécuter ses indications. Une manœuvre mal comprise fit lâcher les cordes, et tout aussitôt le ballon, devenu libre, s’élança en ligne presque verticale, emportant l’aéronaute, qui, dans ce moment, debout dans la nacelle, fut renversé du choc. On vit alors Gale, la tête inclinée hors de la nacelle et paraissant suffoqué.

Nul ne peut dire ce qui se passa ensuite. Seulement, à 11 heures du soir, le ballon, encore à demi gonflé, fut retrouvé au milieu d’une lande, au delà de la Croix-d’Hinx. L’appareil n’était nullement endommagé, et tous les agrès étaient à leur place ; mais l’aéronaute n’y était plus, et toutes les recherches pour le retrouver près du ballon furent inutiles.

Le lendemain, à la pointe du jour, un pâtre qui menait ses vaches à une demi-lieue de cet endroit, s’aperçut qu’un de ses animaux s’enfonçait dans un fourré de bruyères, et y flairait avec bruit. Il s’approcha, et vit un homme étendu sur la terre. Le croyant endormi, il s’avança pour l’appeler ; mais il fut saisi d’horreur au spectacle qui s’offrit à lui. Le cadavre de l’infortuné aéronaute était couché sur la face, les bras brisés et ployés sous la poitrine. Le ventre était enfoncé, et les jambes fracturées en plusieurs endroits ; la tête n’avait plus rien d’humain : elle avait été à moitié dévorée par les bêtes fauves.

La mort n’a pas toujours été l’issue des événements dramatiques auxquels a donné lieu la pratique de l’aérostation. Nous placerons ici le récit de quelques-uns de ces épisodes, moins douloureux et tout aussi intéressants.