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« Nous partîmes, du jardin du Conservatoire des Arts, le 6 fructidor, à 10 heures du matin, en présence d’un petit nombre d’amis. Le baromètre était à 0m,765 (28po.,31) ; le thermomètre, à 16°,5 de la division centigrade (13°, 2 de Réaumur) ; et l’hygromètre à 80°,8, par conséquent assez près de la plus grande humidité. M. Conté, que le ministre de l’intérieur avait chargé, dès l’origine, de tous les préparatifs, avait pris toutes les mesures imaginables pour que notre voyage fût heureux, et il le fut en effet.

« Nous l’avouerons, le premier moment où nous nous élevâmes ne fut pas donné à nos expériences. Nous ne pûmes qu’admirer la beauté du spectacle qui nous environnait. Notre ascension, lente et calculée, produisit sur nous cette impression de sécurité que l’on éprouve toujours quand on est abandonné à soi-même, avec des moyens sûrs. Nous entendions encore les encouragements qui nous étaient donnés, mais nous n’en avions pas besoin : nous étions parfaitement calmes et sans la plus légère inquiétude. Nous n’entrons dans ces détails que pour montrer que l’on peut accorder quelque confiance à nos observations.

« Nous arrivâmes bientôt dans les nuages. C’étaient comme de légers brouillards, qui ne nous causèrent qu’une faible sensation d’humidité. Notre ballon s’étant gonflé entièrement, nous ouvrîmes la soupape pour abandonner du gaz, et en même temps nous jetâmes du lest pour nous élever plus haut. Nous nous trouvâmes aussitôt au-dessus des nuages, et nous n’y rentrâmes qu’en descendant.

« Ces nuages, vus de haut, nous parurent blanchâtres, comme lorsqu’on les voit de la surface de la terre. Ils étaient tous exactement à la même élévation ; et leur surface supérieure, toute mamelonnée et ondulante, nous offrait l’aspect d’une plaine couverte de neige.

« Nous nous trouvions alors vers 2 000 mètres de hauteur. Nous voulûmes faire osciller notre aiguille, mais nous ne tardâmes pas à reconnaître que l’aérostat avait un mouvement de rotation très-lent, qui faisait varier sans cesse la position de la nacelle par rapport à la direction de l’aiguille, et nous empêchait d’observer le point où les oscillations finissaient. Cependant la propriété magnétique n’était pas détruite ; car, en approchant de l’aiguille un morceau de fer, l’attraction avait encore lieu. Ce mouvement de rotation devenait sensible quand on alignait les cordes de la nacelle sur quelque objet terrestre, ou sur les flancs des nuages, dont les contours nous offraient des différences très-sensibles. De cette manière nous nous aperçûmes bientôt que nous ne répondions pas toujours au même point. Nous espérâmes que ce mouvement de rotation, déjà très-peu rapide, s’arrêterait avec le temps, et nous permettrait de reprendre nos oscillations.

« En attendant, nous fîmes d’autres expériences ; nous essayâmes le développement de l’électricité par le contact des métaux isolés ; elle réussit comme à terre. Nous apprêtâmes une colonne électrique avec vingt disques de cuivre et autant de disques de zinc ; nous obtînmes, comme à l’ordinaire, la saveur piquante. Tout cela était facile à prévoir, d’après la théorie de Volta, et puisque l’on sait d’ailleurs que l’action de la colonne électrique ne cesse pas dans le vide ; mais il était si facile de vérifier ces faits, que nous avions cru devoir le faire. D’ailleurs tous ces objets pouvaient nous servir de lest au besoin. Nous étions alors à 2 724 mètres de hauteur, selon notre estime.

« Vers cette élévation, nous observâmes les animaux que nous avions emportés ; ils ne paraissaient pas souffrir de la rareté de l’air ; cependant le baromètre était à 20 pouces 8 lignes : ce qui donnait une hauteur de 2 622 mètres. Une abeille violette (Apis violacea), à qui nous avions donné la liberté, s’envola très-vite et nous quitta en bourdonnant. Le thermomètre marquait 13° de la division centigrade (10°, 4 Réaumur). Nous étions très-surpris de ne pas éprouver de froid ; au contraire, le soleil nous échauffait fortement ; nous avions ôté les gants que nous avions mis d’abord, et qui ne nous ont été d’aucune utilité. Notre pouls était fort accéléré : celui de M. Gay-Lussac, qui bat ordinairement soixante-deux pulsations par minute, en battait quatre-vingts ; le mien, qui donne ordinairement soixante-dix-neuf pulsations, en donnait cent onze. Cette accélération se faisait donc sentir, pour nous deux, à peu près dans la même proportion. Cependant notre respiration n’était nullement gênée, nous n’éprouvions aucun malaise, et notre situation nous semblait extrêmement agréable.

« Cependant nous tournions toujours, ce qui nous contrariait fort, parce que nous ne pouvions pas observer les oscillations magnétiques tant que cet effet avait lieu. Mais en nous alignant, comme je l’ai dit, sur les objets terrestres, et sur les flancs des nuages, qui étaient bien au-dessous de nous, nous nous aperçûmes que nous ne tournions pas toujours dans le même sens ; peu à peu le mouvement de rotation diminuait et se reproduisait en sens contraire. Nous comprîmes alors qu’il fallait saisir ce passage d’un des états à l’autre, parce que nous restions stationnaires dans l’intervalle. Nous profitâmes de cette remarque pour faire nos expériences. Mais comme cet état stationnaire ne durait que quelques instants, il n’était pas possible d’observer, de suite, vingt oscillations comme à terre ; il fallait se contenter de cinq ou de six au plus, en prenant bien garde de ne pas agiter la nacelle, car le plus léger mouvement, celui que produisait le gaz quand nous le laissions échapper, celui même de notre main quand nous écrivions, suffisait pour nous faire tourner. Avec toutes ces précautions, qui demandaient beaucoup de temps, d’essais et de soins, nous parvînmes à répéter dix