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mais elles ne furent point suffisantes pour amener à quelque conclusion rigoureuse relativement à la loi de décroissance de la température dans les régions élevées.

En raison de l’importance exceptionnelle du voyage aérostatique de MM. Biot et Gay-Lussac, nous mettrons le texte exact de leur récit sous les yeux de nos lecteurs. Voici donc cette pièce originale, dont la rédaction est de M. Biot :

« Depuis que l’usage des aérostats est devenu facile et simple, les physiciens désiraient qu’on les employât pour faire les observations qui demandent que l’on s’élève à de grandes hauteurs, loin des objets terrestres. Le ministère de M. Chaptal offrait particulièrement une occasion favorable pour réaliser ces projets utiles aux sciences. MM. Berthollet et Laplace ayant bien voulu s’y intéresser, ce ministre s’empressa de concourir à leurs vues, et nous nous offrîmes, M. Gay-Lussac et moi, pour cette expédition. Nous venons de faire notre premier voyage, et nous allons en rendre compte à la classe ; empressement d’autant plus naturel que plusieurs de ses membres nous ont éclairés de leurs expériences et de leurs conseils.

Notre but principal était d’examiner si la propriété magnétique éprouve quelque diminution appréciable quand on s’éloigne de la terre. Saussure, d’après des expériences faites sur le col du Géant, à 3 435 mètres de hauteur, avait cru y reconnaître un affaiblissement très-sensible et qu’il évaluait à 1/5. Quelques physiciens avaient même annoncé que cette propriété se perd entièrement, quand on s’éloigne de la terre dans un aérostat. Ce fait étant lié de près à la cause des phénomènes magnétiques, il importait à la physique qu’il fût éclairci et constaté ; du moins, c’est ainsi qu’ont pensé plusieurs membres de la classe, et l’illustre Saussure lui-même, qui recommande beaucoup cette observation sur laquelle il est revenu plusieurs fois dans ses voyages aux Alpes.

Pour décider cette question, il ne faut qu’un appareil fort simple. Il suffit d’avoir une aiguille aimantée, suspendue à un fil de soie très-fin. On détourne un peu l’aiguille de son méridien magnétique, et on la laisse osciller ; plus les oscillations sont rapides, plus la force magnétique est considérable. C’est Borda qui a imaginé cette excellente méthode, et M. Coulomb a donné le moyen d’évaluer la force d’après le nombre des oscillations. Saussure a employé cet appareil dans son voyage sur le col du Géant. Nous en avons emporté un semblable dans notre aérostat. L’aiguille dont nous nous sommes servis avait été construite avec beaucoup de soin par l’excellent artiste Fortin ; et M. Coulomb avait bien voulu l’aimanter lui-même par la méthode d’Œpinus. Nous avons essayé, à plusieurs reprises, sa force magnétique, lorsque nous étions encore à terre. Elle faisait vingt oscillations en cent quarante et une secondes de la division sexagésimale ; et comme nous avons obtenu ce même résultat un grand nombre de fois, à des jours différents, sans trouver un écart d’une demi-seconde, on peut le regarder comme très-exact. Nous nous servions, pour observer, de deux excellentes montres à secondes qui nous avaient été prêtées par M. Lépine, habile horloger.

Outre cet appareil nous avons emporté une boussole ordinaire de déclinaison et deux boussoles d’inclinaison : la première pour observer la direction du méridien magnétique ; la seconde pour connaître les variations d’inclinaison. Ces appareils, beaucoup moins sensibles que le premier, étaient seulement destinés à nous indiquer des différences, s’il en était survenu qui fussent très-considérables. Afin de n’avoir que des résultats comparables, nous avions placé tous ces instruments dans la nacelle, lorsque nous avons observé, à terre, les oscillations de la première aiguille. Du reste, il n’entrait pas un morceau de fer dans la construction de notre nacelle, ni dans celle de notre aérostat. Les seuls objets de cette matière que nous emportâmes (un couteau, des ciseaux, deux canifs) furent descendus dans un panier au-dessous de la nacelle, à 8 ou 10 mètres de distance (vingt-cinq ou trente pieds), en sorte que leur influence ne pouvait être sensible en aucune manière.

Outre cet objet principal, dans ce premier voyage, nous nous proposions aussi d’observer l’électricité de l’air, ou plutôt la différence d’électricité des différentes couches atmosphériques. Pour cela, nous avions emporté des fils métalliques de diverses longueurs, depuis 20 jusqu’à 100 mètres (60 à 300 pieds). En suspendant ces fils à côté de notre nacelle, à l’extrémité d’une tige de verre, ils devaient nous mettre en communication avec les couches inférieures et nous permettre de puiser leur électricité. Quant à la nature de cette électricité, nous avions, pour la déterminer, un petit électrophore, chargé très-faiblement, et dont la résine avait été frottée à terre avant le départ.

Nous avions aussi projeté de rapporter de l’air puisé à une grande hauteur. Nous avions pour cela un ballon de verre fermé, dans lequel on avait fait exactement le vide, en sorte qu’il suffisait de l’ouvrir pour le remplir d’air. On devine aisément que nous nous étions munis de baromètres, de thermomètres, d’électromètres et d’hygromètres. Nous avions avec nous des disques de métal pour répéter les expériences de Volta, ou l’électricité développée par le simple contact. Enfin, nous avions emporté divers animaux, comme des grenouilles, des oiseaux et des insectes.