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« Depuis trop longtemps, écrit Robertson, les ascensions, si coûteuses pour les physiciens, ont été sacrifiées à la frivolité et à l’amusement de la multitude, tandis qu’elles pouvaient avoir un but plus noble et plus utile, celui d’ajouter quelque chose à nos connaissances météorologiques et physiques. Pour obtenir dés résultats utiles et pouvoir s’élever dans les régions les plus hautes de l’atmosphère, il fallait un aérostat dont la capacité fût assez grande pour se prêter à l’effet de la dilatation et de la raréfaction de l’atmosphère, sans perdre son gaz hydrogène. Je trouvai tous ces avantages dans un ballon sphérique de 30 pieds 6 pouces de diamètre, que des circonstances particulières m’avaient procuré à Paris. Ce ballon a été construit avec les plus grands soins à Meudon, sous la surveillance de M. Conté ; il était destiné pour les armées.

« L’expérience fixée au 22 juin fut contrariée par un ouragan ; le 18 juillet, par un temps calme, un ciel pur et le plus beau jour de la nature, je la répétai à mes frais dans le jardin d’un ami. Pour obtenir mon gaz, j’employai le zinc pour utiliser le résidu, le sulfate de zinc étant alors très-recherché à Hambourg. Je commençai l’opération à 5 heures du matin et à 8 heures l’aérostat était plein aux deux tiers, et pouvait enlever 455 livres, sans compter le poids de la machine et du filet.

« Je partis, dit-il, à 9 heures du matin, accompagné de M. Lhoest, mon condisciple et compatriote français, établi dans cette ville ; nous avions 140 livres de lest. Le baromètre marquait 28 pouces, le thermomètre de Réaumur 16°. Malgré un faible vent du nord-ouest, l’aérostat monta si perpendiculairement et si haut, que dans toutes les rues chacun croyait l’avoir à son zénith. Pour accélérer notre élévation, je détachai un parachute de soie d’une forme parabolique, et ayant dans sa périphérie des cases dont le but était d’éviter les oscillations. L’animal qu’il soutenait, enfermé dans une corbeille, descendit avec une lenteur de deux pieds par seconde, et d’une manière presque uniforme. Dès l’instant où le baromètre commença à descendre, nous ménageâmes notre lest avec beaucoup de prudence, afin d’éprouver d’une manière moins sensible les différentes températures par lesquelles nous allions passer.

« À 10 heures 15 minutes, le baromètre était à 19 pouces, et le thermomètre à 3 degrés au-dessus de zéro. Sentant arriver graduellement toutes les incommodités d’un air raréfié, nous commençâmes à disposer quelques expériences sur l’électricité atmosphérique… L’électricité des nuages que j’ai obtenue trois fois a toujours été vitrée.

« Nous fûmes souvent détournés dans ces différents essais par la surveillance qu’il fallait accorder à l’aérostat, dont le taffetas se distendait avec violence, quoique l’appendice fût ouvert ; le gaz en sortait en sifflant et devenait visible en passant dans une atmosphère plus froide ; nous fûmes même obligés, crainte d’explosion, de donner deux issues au gaz hydrogène en ouvrant la soupape. Comme il restait encore beaucoup de lest, je proposai à mon compagnon de monter encore ; aussi zélé et plus robuste que moi, il m’en témoigna le plus grand désir, quoiqu’il se trouvât fort incommodé. Nous jetâmes du lest pendant quelque temps ; bientôt le baromètre indiqua un mouvement progressif ; enfin, le froid augmenta, et nous ne tardâmes pas à le voir descendre avec une extrême lenteur. Pendant les différents essais dont nous nous occupions, nous éprouvions une anxiété, un malaise général ; le bourdonnement d’oreilles dont nous souffrions depuis longtemps augmentait d’autant plus que le baromètre dépassait les 13 pouces. La douleur que nous éprouvions avait quelque chose de semblable à celle que l’on ressent lorsque l’on plonge la tête dans l’eau. Nos poitrines paraissaient dilatées et manquaient de ressort ; mon pouls était précipité. Celui de M. Lhoest l’était moins ; il avait, ainsi que moi, les lèvres grosses, les yeux saignants ; toutes les veines étaient arrondies et se dessinaient en relief sur mes mains. Le sang se portait tellement à la tête, qu’il me fit remarquer que son chapeau lui paraissait trop étroit. Le froid augmenta d’une manière sensible ; le thermomètre descendit assez brusquement jusqu’à 2 degrés et vint se fixer à 5 degrés et demi au-dessous de la glace, tandis que le baromètre était à 12 pouces 4/100. À peine me trouvai-je dans cette atmosphère, que le malaise augmenta ; j’étais dans une apathie morale et physique ; nous pouvions à peine nous défendre d’un assoupissement que nous redoutions comme la mort. Me défiant de mes forces, et craignant que mon compagnon de voyage ne succombât au sommeil, j’avais attaché une corde à ma cuisse, ainsi qu’à la sienne ; l’extrémité de cette corde passait dans nos mains. C’est dans cet état, peu propre à des expériences délicates, qu’il fallut commencer les observations que je me proposais[1]. »

Ici Robertson donne le détail des expériences qu’il fit sur l’électricité et le magnétisme. À la hauteur qu’il occupait dans l’atmosphère, les phénomènes de l’électricité statique lui paraissaient sensiblement affaiblis ; le verre, le soufre et la cire d’Espagne ne s’électrisaient que très-faiblement par le frottement. La pile de Volta fonctionnait avec moins d’énergie qu’à la surface de la terre. En même temps, il crut reconnaître que

  1. Mémoires récréatifs, scientifiques et anecdotiques du physicien aéronaute E. G. Robertson, tome II, in-8, Paris, 1840, pages 66 et suivantes.