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« Pendant que je m’occupais de ces recherches, dit David Bourgeois, dans son Essai sur l’art de voler, publié en 1784, je fus informé que M. de Gusman, habile physicien, avait fait élever dans l’air, en 1736, un panier d’osier recouvert de papier. Il était oblong et de sept ou huit pieds de diamètre. Il s’éleva à la hauteur de la tour de Lisbonne, qui est de deux cents pieds environ. On nommait depuis lors M. de Gusman pendant sa vie, l’Ovoador. Ce mot portugais signifie, celui qui fait voler. On le distinguait ainsi de ses deux frères, dont l’un, homme d’un grand mérite, était fort aimé du roi et travaillait en particulier avec lui ; le second, religieux Carme, était un des plus grands prédicateurs de son temps. Ce fait, dont je ne pouvais pas douter, par le témoignage certain d’une personne respectable qui y avait été présente, m’engagea d’écrire à un négociant très-distingué de Lisbonne. Je le priai de m’en procurer les informations les plus précises, et surtout celles des moyens dont il avait été fait usage. Il me répondit que j’étais bien instruit, que la chose était très-vraie ; plusieurs personnes se la rappelaient encore, mais très-confusément ; il avait connu particulièrement M. de Gusman, frère du physicien ; ils avaient parlé souvent ensemble de cette anecdote en en riant, parce qu’elle avait été attribuée à un sorcier ; il me promit de faire continuer ses recherches pour en obtenir quelqu’autre circonstance. Elles ont été inutiles à ce sujet, mais ce négociant obligeant m’a envoyé copie d’un autre projet, avec celle d’une requête présentée au roi de Portugal par son auteur.

« Voici le texte de cette requête adressée au roi ;

« Le père Barthélémy Lourenço représente à Sa Majesté qu’il a découvert un instrument pour cheminer dans l’air, de la même manière que sur la terre et par mer, avec beaucoup de promptitude, en faisant quelquefois au delà de deux cents lieues par jour, avec lequel on pourra porter les avis de la plus grande importance aux armées et pays éloignés, presque dans le même temps qu’on les résout ; ce qui intéresse Votre Majesté beaucoup plus que tout autre prince, par la plus grande distance de vos domaines, en évitant par ce moyen la mauvaise administration des conquêtes, qui provient en grande partie de ce que les avis arrivent tard. Votre Majesté pourra, de plus, en faire venir plus promptement et plus sûrement tout ce qui lui sera nécessaire et qu’elle désirera ; les négociants pourront faire passer des lettres et des capitaux aux places assiégées, ou en recevoir. Ces places pourront aussi être secourues en tout temps de vivres, d’hommes et de munitions, et l’on pourra en faire sortir les personnes que l’on voudra, sans que les ennemis puissent y mettre aucun empêchement. On découvrira les régions les plus éloignées aux pôles du monde, et la nation portugaise jouira de la gloire de cette découverte, indépendamment des avantages infinis que le temps fera connaître. Et comme cette découverte pourrait provoquer plusieurs désordres, et que plusieurs crimes pourraient se commettre dans la confiance qu’elle inspirerait à leurs auteurs de rester impunis, en s’en servant pour passer à l’instant dans d’autres royaumes, il convient donc d’en restreindre l’usage et d’autoriser une seule personne à en exercer la faculté, et que ce soit à elle à qui en tout temps on enverra les ordres convenables pour faire les transports, faisant défense à tous autres de s’en servir sous de rigoureuses peines, et récompensant le suppliant d’une invention aussi utile ; Votre Majesté est suppliée qu’elle daigne accorder au requérant le privilége exclusif du service de cette machine, défendant à tous et un chacun, de quelque qualité que ce soit, d’en faire usage en aucun temps dans ce royaume et dans les conquêtes, sans permission du suppliant ou de ses héritiers, sous peine de la perte de tous leurs biens, et toutes autres qu’il plaira à Votre Majesté d’infliger. »

Au bas de cette pièce est la décision du roi de Portugal, dans cette forme :

Consulté au conseil de l’expédition des dépêches ; il a été délibéré d’une voix unanime que la récompense demandée par le suppliant était trop modique, et qu’on devait l’amplifier.

Voici maintenant la résolution du roi :

Conformément à l’avis de mon conseil, j’aggrave de la peine de mort celles énoncées contre les transgresseurs ; et afin que le suppliant s’applique avec plus de zèle au nouvel instrument faisant les effets qu’il dit, je lui accorde la première place qui vaquera dans mes colléges de Barcelos ou Santarem, et de premier professeur de mathématiques de mon Université de Coïmbre, avec 600 000 reis de pension (3 750 livres argent de France) pendant la vie du suppliant seulement.

Lisbonne, 17 avril 1709.
Ici le paraphe du roi.

« Il ne faut pas s’étonner, reprend l’auteur de l’Art de voler, si la machine de Lourenço n’a jamais été employée et si elle était tombée dans l’oubli. Elle représente sous une espèce de figure d’oiseau un corps de bâtiment soutenu par des tuyaux où le vent devait s’engouffrer, et se porter à des espèces de voiles attachées au-dessus du navire pour l’enlever ; à défaut du vent, on devait y suppléer en faisant usage de gros soufflets. Un grand nombre de morceaux d’ambre étaient attachés à un toit de fil de fer, afin, à ce que présumait l’auteur, d’attirer en l’air le bas du bâtiment qui, pour cet effet, était garni de nattes faites de paille de seigle. Deux sphères contenaient, suivant lui, le secret attractif, et une pierre d’aimant. Un gouvernail sur le derrière devait servir à diriger la marche. Des ailes attachées aux côtés n’avaient d’autre emploi que d’empêcher la