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le capitaine Delaunay et le lieutenant de Selle de Beauchamp, la petite ville de Frankenthal, sur le Rhin, située à deux lieues de Worms, et non loin de Manheim, où Pichegru avait son quartier général. On fit à Worms, à Frankenthal et à Manheim, diverses ascensions dirigées par de Selle de Beauchamp.

Après l’hiver, on recommença la campagne, en passant le Necker. C’est ici qu’un incident funeste endommagea gravement l’aérostat l’Entreprenant, déjà bien usé par son long service.

Pendant la marche de l’armée, afin d’éviter l’entrée de Manheim, dont on n’eût pas traversé facilement les fortifications, avec le ballon tout rempli, on avait cru pouvoir le laisser hors de la ville, dans une enceinte formée au moyen de cordes et de piquets, et placée sous la garde d’une sentinelle. Le capitaine et le lieutenant des aérostiers, qui venaient de recevoir l’ordre de se diriger vers les avant-postes, étaient occupés dans leur tente, à régler le départ de la compagnie pour le lendemain, lorsqu’une explosion très-forte retentit du côté de l’aérostat. La sentinelle crie : Aux armes ! On accourt au bruit, et l’on trouve la sentinelle atteinte d’un coup de feu, et l’aérostat criblé de trous ou de déchirures, par une grêle de projectiles. Sans doute à la faveur de la nuit, et grâce à la proximité du fleuve, un Autrichien s’était approché de l’aérostat, avait fait feu contre lui d’une arme chargée à mitraille, et s’était enfui sans être aperçu, grâce à sa connaissance des localités.

Il est certain que toutes les recherches et toutes les poursuites entreprises pour atteindre l’auteur du méfait, demeurèrent sans résultat. On dut se contenter de vider le ballon, pour s’assurer de la gravité des avaries qu’il avait reçues[1].

L’ordre arriva ensuite de le diriger sur Strasbourg, où un emplacement devait être désigné pour y établir un parc d’aérostation et de remplissage des aérostats. En effet, la compagnie fut établie à Molsheim, village à trois lieues de Strasbourg.

Ainsi se termina pour l’aérostat, la première partie de la campagne sur le Rhin.

Moreau ayant été nommé général en chef, en remplacement de Pichegru, suspect au gouvernement, la campagne fut reprise, et l’armée pénétra en Allemagne. L’aérostat qui avait été, comme nous l’avons dit, entreposé à Molsheim, suivit nos bataillons. Il traversa, à la suite de l’armée, Rastadt, puis Stuttgard, et s’arrêta à Donawert, où était le quartier général.

Le lendemain de l’arrivée à Donawert, l’aérostat s’éleva pour reconnaître les principales forces de l’ennemi, qui garnissaient l’autre rive du Danube.

Deux jours après, le général Moreau, ayant fait franchir le fleuve à son armée, avait, avant de partir, envoyé un ordre d’ascension au capitaine des aérostiers, qui le transmit au lieutenant de Selle de Beauchamp.

Le lieutenant de Selle de Beauchamp avait quelque inquiétude sur cette opération, parce que l’aérostat marchant tout rempli depuis deux mois, avait beaucoup perdu de sa force ascensionnelle ; de sorte qu’il était à craindre qu’il ne pût s’enlever très-haut. Cependant il saute dans la nacelle, en demandant qu’on lui apporte du lest.

« Pourquoi faire ? dit le capitaine Lhomond. L’aérostat enlève à peine. »

Et comme le lieutenant insistait :

« Est-ce que tu as peur ? » reprend le capitaine.

Pour toute réponse, le lieutenant de Selle donne l’ordre du départ, et l’aérostat s’élance, dans les airs, comme une flèche.

« Dès le premier instant, dit de Selle de Beauchamp, je vis le danger, car, à la manière dont je montais, je sentis que mes jeunes gens étaient dominés par l’énorme force ascensionnelle qui m’em-

  1. Souvenirs du xviiie siècle. Extrait des Mémoires d’un officier d’aérostiers, par le baron de Selle de Beauchamp, p. 57.