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d’un bal. Les seuls ornements de la salle de bal, étaient le portrait de Blanchard, avec l’image de la colonne monumentale de la forêt. Au-dessus du portrait, étaient ces vers :

Autant que le Français, l’Anglais fut intrépide ;
Tous les deux ont plané jusqu’au plus haut des airs ;
Tous les deux, sans navire, ont traversé les mers.
Mais la France a produit l’inventeur et le guide.

Les gravures du temps consacrèrent, à l’envi, le souvenir de cet événement mémorable dans l’histoire de l’aérostation. Au bas de l’une de ces estampes, qui représente le moment où l’aérostat de Blanchard descend sur le rivage, après avoir franchi la mer, on lit les vers suivants :

Le pêcheur qui sur l’eau tenait son bras tendu,
Laisse tomber sa ligne et reste confondu.
Les yeux fixés au ciel ; courbé sur sa charrue,
Le laboureur les voit et les suit dans la nue ;
Le timide berger les croit des immortels,
Et dans son cœur troublé leur dresse des autels.


CHAPITRE VII

pilâtre de rozier construit, avec les frères romain, une aéro-montgolfière pour traverser la manche. — mort de pilâtre de rozier et de romain sur la côte de boulogne.

L’éclatant succès de l’entreprise de Blanchard, le retentissement immense qu’il eut en Angleterre et sur le continent, doivent compter parmi les causes d’un des plus tristes événements qui aient marqué l’histoire de l’aérostation. Bien avant le jour où Blanchard avait exécuté le passage de la Manche en ballon, Pilâtre de Rozier avait annoncé qu’il franchirait la mer, de Boulogne à Londres, traversée périlleuse en raison du peu de largeur des côtes d’Angleterre, qu’il était facile de dépasser.

On avait essayé inutilement de faire comprendre à Pilâtre les périls auxquels cette entreprise allait l’exposer. Il assurait avoir trouvé un nouveau système d’aérostats, qui réunissait toutes les conditions nécessaires de sécurité, et permettait de se maintenir dans les airs un temps considérable. Sur cette assurance, le gouvernement lui accorda une somme de quarante mille francs, pour construire sa machine.

On apprit alors quelle était la combinaison qu’il avait imaginée. Il réunissait en un système unique les deux moyens dont on avait fait usage jusque-là ; au-dessous d’un aérostat à gaz hydrogène il suspendait une montgolfière. Il est assez difficile de bien apprécier les motifs qui le portèrent à adopter cette disposition, car il faisait sur ce point un certain mystère de ses idées. Il est probable que, par l’addition d’une montgolfière, il voulait s’affranchir de la nécessité de jeter du lest pour s’élever et de perdre du gaz pour descendre : le feu, activé ou ralenti dans la montgolfière, devait fournir une force ascensionnelle supplémentaire.

Quoi qu’il en soit, ces deux systèmes qui, isolés, ont chacun ses avantages, formaient, réunis, la plus détestable combinaison. Il n’était que trop aisé de comprendre à quels dangers terribles l’existence d’un foyer dans le voisinage d’un gaz inflammable, comme l’hydrogène, exposait l’aéronaute. « Vous mettez un réchaud sous un baril de poudre, » disait Charles à Pilâtre de Rozier. Mais celui-ci n’écoutait rien : il n’écoutait que son intrépidité et l’incroyable exaltation scientifique dont il avait déjà donné tant de preuves, et qui étaient comme le caractère de son esprit.

L’existence de cet homme courageux peut être regardée comme un exemple de cette fièvre d’aventures, et d’expériences que le progrès des sciences physiques avait développée chez certains hommes à la fin du siècle dernier. Pilâtre de Rozier était né à Metz en 1756. On l’avait d’abord destiné à la chirurgie, mais cette profession lui inspira une grande répugnance ; il passa des salles de l’hôpital dans le laboratoire d’un pharmacien, où il reçut les premières notions des sciences