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sensible. Ces alternatives presque subites de condensation et de raréfaction nous paraissent mériter la plus grande attention. M. Champy, notre confrère, avait placé dans la gondole, au moment de notre départ, un instrument destiné à nous en avertir : c’est un siphon à trois branches dont la première, presque capillaire, communique, par le moyen d’un robinet, à une vessie pleine d’air ; la seconde, bien plus grosse, contient une liqueur colorée qui s’élève et s’abaisse, à mesure que l’air de la vessie est raréfié ou condensé, et la planche, sur laquelle elle est fixée, porte des divisions en lignes et pouces cubes, ou parties aliquotes de la capacité connue de la vessie.

Cet instrument, très-sensible, peut devenir très-avantageux, mais nous croyons que, pour suivre exactement les variations du ballon, il faut le placer de manière qu’il soit dans la même position par rapport à l’impression des rayons du soleil, et surtout que l’air soit de même nature et renfermé dans la même matière.

L’inquiétude que nous causait cette prodigieuse dilatation me fit penser qu’on pourrait peut-être s’en garantir entièrement en employant l’enveloppe solide dont j’ai parlé dans la première partie du rapport fait à l’Académie de la première expérience. Il suffirait de l’exposer à une dilatation graduée ; on fermerait le robinet lorsque le gaz y serait suffisamment raréfié, et comme le volume ne changerait pas, on gagnerait encore de la légèreté.

On conçoit qu’il nous fut impossible de manœuvrer pendant tout le temps que dura cette nouvelle dilatation, et nous suivîmes la ligne 7-8 en passant sur le bois de Saint-Julien, M ; sur celui d’Arcelot, N, laissant le village à notre droite. Il est probable que le vent avait alors changé, quoiqu’il ne marquât aucune direction décidée sur les flammes de notre avant, puisqu’il dut nécessairement influer sur notre marche, non-seulement dans cette ligne, mais encore dans les lignes 9, 10, 11 et 12.

Arrivés sur les carrières de Dromont, R, qui se trouvaient perpendiculairement sous nos fils à plomb, étant pour lors rassurés sur la dilatation, nous prîmes la résolution de profiter du calme pour nous porter en droite ligne sur Dijon. M. de Virly manifesta cette intention par un billet attaché à une pelote qui pouvait peser deux onces, avec banderoles, qu’il laissa tomber tout près de ce hameau. Sa chute jusqu’à terre, où nous la revîmes après qu’elle fut arrêtée, fut de 37 secondes. À 9 heures 17 minutes, le baromètre était à 23 pouces 5 lignes, et le thermomètre à 18 degrés.

Ayant viré par le gouvernail, nous fîmes force de rames, et nous voguâmes en effet dans la direction 8-9, sur une longueur d’environ 200 toises. Nous aurions rempli probablement notre projet, si nous eussions pu suffire au travail qu’il exigeait ; mais la chaleur et la fatigue nous obligèrent à le suspendre. Le vent, toujours très-faible nous fit repasser une troisième fois le chemin de Mirebeau, et nous parcourûmes l’espace 9-1 0, tirant vers Binge.

Là, ayant aperçu à très-peu de distance sur notre gauche une petite ville (nous avons su depuis que c’était Mirebeau), nous reprîmes courage, espérant pouvoir arriver à quelque lieu déterminé, et nous fîmes une route d’environ 500 toises sur la ligne 10-11.

Nous reconnûmes bientôt que, malgré nos efforts, nous tournions sur Belleneuve ; nous passâmes sur ce village, T. Nous découvrîmes un bois, entre Trochère et Étevaux. Nous nous sentions déjà baisser ; nous nous disposions à jeter du lest pour nous relever ; mais, étant parvenus jusqu’à la pièce de terre U, nous préférâmes de nous laisser aller, pour prendre à loisir une connaissance plus entière de ce qui nous restait de lest, des choses dont nous pouvions nous débarrasser, et de ce que nous pourrions tenter en conséquence. Nous descendîmes donc assez doucement, quoique avec un mouvement accéléré, sur une pièce de blé entre ce bois et la prairie d’Étevaux.

Il était 9 heures 45 minutes ; nous avions encore 15 livres de lest et beaucoup d’effets que nous pouvions laisser. Nous vîmes accourir à nous un ecclésiastique et un grand nombre de paysans ; nous les attendîmes pour savoir précisément où nous étions, car la facilité avec laquelle nous avions d’abord distingué tous les objets à terre nous avait fait négliger la boussole, et les nuages nous avaient ensuite dérobé les points principaux qui auraient pu nous guider. Nous apprîmes bientôt que ce village se nommait Étevaux : c’était le vicaire de ce lieu, accompagné de ses paroissiens, qui venait à notre rencontre.

Nous étions tellement en équilibre que le moindre souffle nous aurait fait courir à terre, comme si nous eussions glissé. Pour nous fixer, M. de Virly pria un de ceux qui étaient accourus, et qui avait en bandoulière une grosse chaîne de fer, de nous la prêter pour charger quelques instants la gondole ; d’autres nous donnèrent leurs sabots, et nous commencions à gagner assez de poids pour rester immobiles » M. le vicaire d’Étevaux nous avait fait en arrivant les instances les plus honnêtes pour aller prendre chez lui quelques moments de repos ; il nous fit observer que la foule qui accourait de tous les villages voisins gâterait le blé, si nous y restions. Nous priâmes un de ses paroissiens de prendre le cordeau de notre ancre, et de marcher, devant nous jusqu’à la prairie. Nous avions retiré de la gondole ce que nous y avions mis, et même deux paquets de lest pour nous élever de terre de quelques pieds. Plusieurs habitants d’Étevaux s’empressèrent d’aider celui qui tirait le cordeau. M. le vicaire lui-même voulut être notre conducteur. Nous fûmes bientôt rendus à la prairie.

Arrivés à la prairie, nouvelles instances de nous laisser conduire de même jusqu’au village ; elles étaient accompagnées de tant de démonstrations de joie et d’amitié que nous ne pûmes nous y refuser.