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que cinq quarts d’heure dans l’air. Cette ascension si courte fut marquée néanmoins par une circonstance curieuse.

Tout le monde sait aujourd’hui qu’un aérostat ne doit jamais être entièrement gonflé au moment du départ ; on le remplit seulement aux trois quarts environ. Il serait dangereux, en quittant la terre, de l’enfler complètement ; car, à mesure que l’on s’élève, les couches atmosphériques diminuant de densité, le gaz hydrogène renfermé dans l’aérostat acquiert plus d’expansion, en raison de la diminution de résistance de l’air extérieur. Les parois du ballon céderaient donc à l’effort du gaz, si on ne lui ouvrait pas une issue. Aussi l’aéronaute observe-t-il avec beaucoup d’attention l’état de l’aérostat, et lorsque ses parois très-distendues indiquent une grande expansion du gaz intérieur, il ouvre la soupape et laisse échapper un peu d’hydrogène. Blanchard, tout à fait dépourvu de connaissances en physique, ignorait cette particularité. Son ballon s’éleva, gonflé outre mesure, et l’imprudent aéronaute, ne comprenant nullement le péril qui le menaçait, s’applaudissait de son adresse, et admirait ce qui pouvait causer sa perte. Les parois du ballon font bientôt effort de toutes parts ; elles vont éclater. Blanchard, arrivé à une hauteur considérable, cède moins à la conscience du danger qui le menace, qu’à l’impression d’épouvante causée sur lui par l’immensité des mornes et silencieuses régions au milieu desquelles l’aérostat l’a brusquement transporté ; il ouvre la soupape, il redescend, et cette terreur salutaire l’arrache au péril où son ignorance l’entraînait.

Blanchard se vanta de s’être élevé à quatre mille mètres plus haut qu’aucun des aéronautes qui l’avaient précédé, et il assura avoir dirigé son ballon contre le vent, à l’aide de son gouvernail et de ses rames. Mais les physiciens, qui avaient observé l’aérostat d’un lieu élevé, démentirent son assertion, et publièrent que les variations de sa marche devaient être uniquement attribuées aux courants d’air qu’il avait rencontrés. Et comme il avait écrit sur les banderoles de son ballon et sur les cartes d’entrée au Champ de Mars cette devise fastueuse : Sic itur ad astra, on lança contre lui cette épigramme :

Au Champ de Mars il s’envola,
Au champ voisin il resta là ;
Beaucoup d’argent il ramassa.
Messieurs, sic itur ad astra.

Quant au bénédictin dom Pech, c’était contre la défense de ses supérieurs qu’il avait voulu s’embarquer avec Blanchard. Un exempt de police, envoyé sur le lieu de la scène, l’avait arrêté et ramené à son couvent, d’où il avait réussi à s’échapper une seconde fois, pour revenir tenter au Champ de Mars, une épreuve qui, comme on l’a vu, ne fut pas poussée bien loin.

Ce zèle outré fut puni de l’exil. Dom Pech fut condamné par le conseil du couvent, à un an et un jour de prison dans la maison la plus reculée de son ordre. Cependant quelques personnes s’intéressèrent à lui, et par l’intervention du cardinal de La Rochefoucauld, le pauvre enthousiaste fut gracié.

Comme tout finissait alors par des chansons, ainsi que nous l’apprend le Figaro de Beaumarchais, le voyage de Blanchard ne pouvait autrement finir. Voici une des chansons faites à cette époque, et que l’on trouve imprimée sur un éventail, dans la belle collection des gravures relatives à l’aérostation, qui existe à la Bibliothèque impériale de Paris. On y rappelle l’incartade de Dupont de Chambon, ce trop fougueux officier qui voulait percer Blanchard de son épée, pour le décider à l’accepter comme compagnon de voyage :

Blanchard allait, contre le vent,
Voler aux étoiles ;
Mais un militaire imprudent
Accourt en ce beau moment
Et casse les ailes
Au bateau volant.