Page:Figuier - Les Merveilles de la science, 1867 - 1891, Tome 2.djvu/452

Cette page a été validée par deux contributeurs.

Après cette ascension mémorable, qui porta si loin la renommée de Charles, on est étonné d’apprendre que ce physicien ne recommença jamais l’expérience, et que le cours de sa carrière aérostatique ne s’étendit pas davantage. Comment le désir de féconder sa découverte ne l’entraîna-t-il pas cent fois au sein des nuages ? On l’ignore[1]. C’est sans doute le cas de répéter le mot du grand Condé : « Il eut du courage ce jour-là. »

C’est le physicien Charles qui a été le héros de l’aventure, assez connue d’ailleurs, où Marat joua un rôle si bien en rapport avec ses habitudes et son caractère.

Tout le monde sait que Marat était médecin, et que dans sa jeunesse il s’était occupé de travaux relatifs à la physique. Il a écrit un ouvrage sur l’électricité, dont nous avons parlé dans le premier volume de ce recueil [2], et un autre sur l’optique, dans lequel il combat les vues de Newton. Marat se présente un jour chez le professeur Charles, pour lui exposer ses idées touchant les théories de Newton, et pour lui proposer quelques objections relatives aux phénomènes électriques, qui faisaient grand bruit à cette époque. Charles ne partageait aucune des opinions de son interlocuteur, et il ne se fit pas scrupule de les combattre. Marat oppose l’emportement à la raison ; chaque argument nouveau ajoute à sa fureur, il se contient avec peine ; enfin, à un dernier trait, sa colère déborde. Il tire une petite épée qu’il portait toujours, et se précipite sur son adversaire. Charles était sans armes ; mais sa vigueur et son adresse ont bientôt triomphé de l’aveugle fureur de Marat. Il lui arrache son épée, la brise sur son genou, et en jette à terre les débris. Succombant à la honte et à la colère, Marat perdit connaissance : on le porta chez lui évanoui.

Quelques années après, aux jours de la sinistre puissance de Marat, le souvenir de cette scène troublait singulièrement le repos du professeur Charles. Heureusement l’ami du peuple avait oublié la victoire du savant.

Il est impossible de se faire l’idée de l’impression que produisit en France, l’annonce de ce premier voyage aérien. Des transports d’admiration et d’enthousiasme, saluèrent partout les succès de cette entreprise. La poésie, sévère ou légère, avait, à cette époque de notre histoire, le privilége de traduire les sentiments qui dominaient la société. C’est dire que les pièces de vers, odes, épîtres, chansons, abondèrent, pour célébrer un événement qui ouvrait au génie de l’homme une carrière jusque-là inaccessible à son activité.

Parmi les nombreuses pièces de vers qui parurent, pour célébrer, en style pindarique, les succès des nouveaux Argonautes, la suivante fut la plus remarquée. Elle est de Gudin de la Brenellerie et a pour titre le Globe de Charles et Robert :

Non, ce n’est point Icare osant quitter la terre,
Ce n’est point d’Archimède un enfant téméraire,
Dont l’audace effrayante et l’inutile effort
Franchit un court espace à l’aide d’un ressort.
C’est la nature même à l’étude asservie,
Et qui prête aujourd’hui ses ailes au génie.
Je ne la brave point, j’obéis à sa voix,
Et je suis dans les airs ses immuables lois.
Ce globe qui s’élève, et qui perce la nue,
De l’empire des airs nous ouvre l’étendue.
L’homme, de qui l’instinct est de tout hasarder,
Dont le sort est de vaincre, et de tout posséder,
Lui qui dompta les mers, qui, méprisant l’orage,
Mit un frein à la foudre et dirigea sa rage,
Que peut-il craindre encor ? Ce roi des éléments
Dans son vol à son char attellera les vents,
Et des monts aplanis l’impuissante barrière
Ne l’arrêtera plus dans sa noble carrière.
D’un nouvel océan, Argonautes nouveaux,
De Colomb et de Coox[3] surpassez les travaux,
Suivez ce Montgolfier, qui, d’une main certaine,
A de la pesanteur enfin brisé la chaîne.

  1. On a dit qu’en descendant de sa nacelle, Charles avait juré de ne plus s’exposer à ces périlleuses expéditions, tant avait été forte l’impression qu’il ressentit au moment où, Robert étant descendu, le ballon, subitement déchargé de ce poids, l’emporta dans les airs avec la rapidité d’une flèche.
  2. Page 708.
  3. Mécanicien anglais, auteur d’une machine avec laquelle il est parvenu à marcher au fond de la mer ; il y a parcouru environ mille toises.