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rection, je vis que nous ne pouvions pas les rencontrer, et je lui dis :

— Arrivons.

L’instant d’après, je m’aperçus que je passais sur l’eau. Je crus que c’était encore la rivière ; mais arrivé à terre, j’ai reconnu que c’était l’étang qui fait aller les machines de la manufacture de toiles peintes de MM. Brenier et compagnie.

Fig. 262. — Le marquis d’Arlandes.

Nous nous sommes posés sur la Butte aux cailles, entre le Moulin des merveilles et le Moulin vieux, environ à cinquante toises de l’un et de l’autre. Au moment où nous étions près de terre, je me soulevai sur la galerie en y appuyant mes deux mains. Je sentis le haut de la machine presser facilement ma tête ; je la repoussai et sautai hors de la galerie. En me retournant vers la machine, je crus la trouver pleine. Mais quel fut mon étonnement, elle était parfaitement vide et totalement aplatie. Je ne vois point M. Pilâtre, je cours de son côté pour l’aider à se débarrasser de l’amas de toile qui le couvrait ; mais avant d’avoir tourné la machine je l’aperçus sortant de dessous en chemise, attendu qu’avant de descendre il avait quitté sa redingote et l’avait mise dans son panier.

Nous étions seuls, et pas assez forts pour renverser la galerie et retirer la paille qui était enflammée. Il s’agissait d’empêcher qu’elle ne mît le feu à la machine. Nous crûmes alors que le seul moyen d’éviter cet inconvénient était de déchirer la toile. M. Pilâtre prit un côté, moi l’autre, et en tirant violemment, nous découvrîmes le foyer. Du moment qu’elle fut délivrée de la toile qui empêchait la communication de l’air, la paille s’enflamma avec force. En secouant un des paniers, nous jetons le feu sur celui qui avait transporté mon compagnon, la paille qui y restait prend feu ; le peuple accourt, se saisit de la redingote de M. Pilâtre et se la partage. La garde survient : avec son aide, en dix minutes, notre machine fut en sûreté, et une heure après, elle était chez M. Réveillon, où M. Montgolfier l’avait fait construire.

La première personne de marque que j’aie vue à notre arrivée est M. le comte de Laval. Bientôt après, les courriers de M. le duc et de madame la duchesse de Polignac vinrent pour s’informer de nos nouvelles. Je souffrais de voir M. de Rozier en chemise, et, craignant que sa santé n’en fût altérée, car nous nous étions très-échauffés en pliant la machine, j’exigeai de lui qu’il se retirât dans la première maison ; le sergent de garde l’y escorta pour lui donner la facilité de percer la foule. Il rencontra sur son chemin monseigneur le duc de Chartres, qui nous avait suivis, comme l’on voit, de très-près ; car j’avais eu l’honneur de causer avec lui, un moment avant notre départ. Enfin il nous arriva des voitures.

Il se faisait tard, M. Pilâtre n’avait qu’une mauvaise redingote qu’on lui avait prêtée. Il ne voulut pas revenir à la Muette.

Je partis seul, quoique avec le plus grand regret de quitter mon brave compagnon. »


CHAPITRE IV

le physicien charles crée l’art de l’aérostation. — ascension de charles et robert aux tuileries.

Le but que Pilâtre de Rosier s’était proposé dans cette périlleuse entreprise était avant tout scientifique. Il fallait, sans plus tarder, s’efforcer de tirer parti, pour l’avancement de la physique et de la météorologie, de ce moyen nouveau d’expérimentation. Mais on reconnut bien vite que l’appareil dont Pilâtre s’était servi, c’est-à-dire le ballon à feu ou la montgolfière, comme on l’appelait déjà, ne pouvait rendre à ce point de vue, que de médiocres services. En effet, le poids de la quantité considérable de combustible que l’on devait emporter, joint à la faible différence qui existe entre la densité de l’air échauffé et la densité de l’air ordinaire, ne