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l’air, elle réussirait bien mieux encore avec le gaz hydrogène, qui pèse quatorze fois moins que l’air. En conséquence, il prit le parti de remplir le ballon avec le gaz inflammable.

Mais cette opération elle-même n’était pas sans difficultés ; l’hydrogène était encore un gaz à peine observé ; on ne l’avait jamais préparé que dans les cours publics et en opérant sur de faibles quantités ; les savants eux-mêmes ne le maniaient pas sans quelque crainte, à cause des dangers qu’il présente par son inflammabilité. Or, il fallait obtenir et accumuler dans un même réservoir, plus de quarante mètres cubes de ce gaz.

On se mit à l’œuvre néanmoins. On s’établit dans les ateliers des frères Robert, situés près de la place des Victoires. Il fallait, pour la première fois, imaginer et construire les appareils nécessaires à la préparation et à la conservation des gaz. Beaucoup de dispositions différentes furent essayées, sans trop de succès. Enfin, pour procéder au dégagement de l’hydrogène, on disposa l’appareil de la manière suivante. On plaça dans un tonneau : de l’eau et de la limaille de fer. Le fond supérieur de ce tonneau était percé de deux trous : l’un donnait passage à un tube de cuir, destiné à conduire le gaz dans l’intérieur du ballon ; l’autre était simplement fermé par un bouchon. On ajoutait successivement, par ce dernier orifice, l’acide sulfurique, qui devait produire le gaz hydrogène, en réagissant sur le fer. Au moment de l’effervescence on ouvrait un robinet adapté au tube de cuir, et le gaz s’introduisait dans le ballon.

On voit, d’après ces manœuvres grossières, combien on était encore peu avancé, à cette époque, dans l’art de manier les gaz. C’était réellement l’enfance de la préparation de l’hydrogène, et l’on comprend quels obstacles il fallut surmonter avant d’atteindre au but proposé.

Les difficultés furent telles qu’elles firent douter quelque temps du succès de l’entreprise. Ainsi la chaleur provoquée par l’action de l’acide sulfurique sur le fer était si élevée, qu’une grande quantité d’eau était réduite en vapeurs ; ces vapeurs étaient mêlées d’acide sulfureux, car ce gaz prend naissance par suite de la réaction, très-énergique, de l’acide sulfurique sur le fer. Or ces vapeurs, rendues corrosives par la présence de l’acide sulfureux, attaquaient les parois du ballon : une fois condensées, elles coulaient le long du taffetas et venaient se réunir à sa partie inférieure ; il fallait donc, de temps en temps, les faire écouler en ouvrant le robinet et en secouant le taffetas[1]. De plus, la chaleur développée par la réaction, se communiquait au tube de cuir, et de là au ballon lui-même. Il fallait donc pour refroidir ses parois, l’arroser sans cesse avec une petite pompe.

Par suite de ces mauvaises dispositions et de la difficulté des manœuvres, on perdait la plus grande partie du gaz formé à l’intérieur du tonneau. Aussi quatre jours furent-ils nécessaires pour remplir le ballon. Nous donnerons une idée des pertes de gaz éprouvées pendant ces opérations, en disant qu’il fallut employer mille livres de fer et cinq cents livres d’acide sulfurique, pour remplir un aérostat qui soulevait à peine un poids de dix-huit livres.

Cependant, le quatrième jour, à force de soins et de peines, le ballon, aux deux tiers rempli, flottait dans l’atelier des frères Robert.

Le public avait connaissance de l’opération qui s’exécutait place des Victoires ; on se pressait en foule aux portes de la maison. Il fallut requérir l’assistance du guet, pour contenir l’impatience des curieux.

Le 27 août, tout se trouvant prêt pour l’expérience, on s’occupa de transporter la machine au Champ-de-Mars, où devait s’effectuer son ascension. Pour éviter l’encombrement des curieux, la translation se fit à deux heures du

  1. On évite aujourd’hui cet inconvénient en faisant passer le gaz hydrogène dans une cuve d’eau, avant de le diriger dans le ballon ; le gaz se lave et se débarrasse ainsi de l’acide sulfureux, qui reste dissous dans l’eau.