Page:Figuier - Les Merveilles de la science, 1867 - 1891, Tome 2.djvu/42

Cette page a été validée par deux contributeurs.

struments contre les défiances et la malveillance des habitants des campagnes. Le peuple de Paris avait, comme nous l’avons raconté, brisé les machines de Chappe, à deux reprises différentes. Les mêmes sentiments de méfiance régnaient dans les provinces, et souvent les ouvriers employés aux constructions des stations, comme les agents qui les dirigeaient, furent forcés de travailler le fusil en bandoulière ou le pistolet à la ceinture[1].

Les mêmes sentiments de suspicion se manifestaient jusque dans les villes. À Lille, par exemple, Abraham Chappe dut se produire dans les assemblées populaires et dans les clubs, pour expliquer que les travaux du télégraphe étaient entrepris dans le seul intérêt de la république, et pour la défense de son territoire.

C’est au prix de tant de peines, c’est grâce à tant de dévouements et d’efforts, que les seize stations de Lille à Paris furent construites dans l’intervalle de moins d’une année.

À mesure que les stations étaient terminées, Claude Chappe y apportait lui-même les appareils télégraphiques qu’il faisait fabriquer à Paris, dans un atelier de serrurerie placé sous sa direction.

Ce n’était pas sans peine qu’il était parvenu à établir dans la capitale cet atelier mécanique pour la construction de ses appareils. Bien qu’il ne s’agît, en définitive, que d’exécuter un même instrument d’après un modèle unique, l’inexpérience des ouvriers occasionnait de grands retards. Les matériaux mêmes faisaient souvent défaut. Il fallait pour construire en entier un télégraphe, environ 4 000 livres de fer, — 100 livres de fil de fer, — 128 livres de fil de laiton, — 118 de cuivre, — 1 350 de plomb laminé, — 510 livres de plomb brut, — 120 feuilles de fer-blanc, et 19 de tôle[2].

Tout cela n’était pas facile à se procurer. Puis, quand on avait rassemblé les matériaux, c’était souvent les ouvriers qui manquaient. Il fallait aller les chercher au club, et les ramener à l’atelier.

Claude Chappe habitait quai Voltaire, 23. Il correspondait avec les inspecteurs, qui lui adressaient un rapport tous les dix jours, sur l’état des travaux. Il faisait de fréquents voyages sur la ligne, et, comme nous l’avons dit, il allait lui-même établir sur place les appareils, au fur et à mesure de leur fabrication.

Au mois de mars 1794, la ligne était terminée, et pourvue, sur tout le parcours, de son matériel complet. Les stations étaient des maisonnettes de forme pyramidale, surmontées d’un échafaudage, sur lequel se dressait l’appareil à signaux.

Cet appareil, beaucoup plus lourd et plus massif que celui qui fut construit depuis, était presque tout de fer. La manipulation consistait à faire prendre aux bras 196 positions différentes. La moitié de ces signes, c’est-à-dire 98, étaient consacrés à donner des avis aux stationnaires pour le service ; l’autre moitié suffisait pour les signaux de la correspondance. Chacun de ces signaux servait à trouver un mot dans le vocabulaire, composé de 9 999 mots. Nous expliquerons plus loin l’emploi de ce vocabulaire.

Chaque poste était pourvu de deux lunettes d’approche. Deux stationnaires étaient affectés à chaque poste. Aux postes extrêmes seulement, c’est-à-dire à Lille et à Paris, il y avait quatre stationnaires. On avait pris ces agents parmi les anciens militaires, et les ouvriers capables d’apporter, sur place, aux appareils les réparations urgentes.

Quelques semaines furent consacrées à exercer tous les stationnaires de la ligne à l’exécution des signaux de la correspondance et du service.

Comme il importait que la tête de la ligne fût placée au milieu de la capitale, le Comité de salut public décida que le poste de Paris serait établi au-dessus du palais du Louvre.

  1. É. Gerspach, Histoire administrative de la télégraphie aérienne en France, p. 33.
  2. Ibidem, p. 33.