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est débarrassé de toute préoccupation, quant à la surveillance et à la garde de sa vaisselle. Autrefois, l’achat de l’argenterie absorbait une fraction importante de la fortune d’un jeune ménage ; cette dépense ne représente aujourd’hui qu’un chiffre insignifiant dans son budget. Que d’ennuis, que de craintes et de surveillance, sont également évités aux divers chefs d’établissements qui sont forcés, comme les restaurateurs, par exemple, de mettre une masse de couverts de table à la disposition du public et de domestiques de toute sorte. Il arrive encore quelquefois qu’un voleur, individu fort peu au courant, par état, des progrès de la science, met dans sa poche le couvert du restaurateur chez lequel il a dîné. Mais, dans ce cas, c’est le voleur lui-même qui est volé ; car s’il a le malheur d’aller offrir en vente à un orfévre, ou de présenter à un bureau de mont-de-piété le produit de son larcin, cette circonstance suffit à déceler son action, et souvent il ne faut pas d’autre indice pour envoyer notre homme réfléchir, en prison, sur les avantages et les inconvénients de la science et du progrès.

La diffusion de l’argenterie voltaïque a des avantages d’un ordre plus sérieux. Elle permet de laisser dans la circulation, pour l’emploi monétaire, une masse énorme de métaux précieux, qui, autrefois, étaient absorbés par les travaux de l’orfévrerie, ce qui contribuait à maintenir le prix commercial de l’argent à un taux élevé. Quelques chiffres fixeront les idées à cet égard. L’usine de MM. Christofle, à Paris, qui est loin d’être la seule se livrant à ce genre de fabrication, a argenté, depuis 1842 jusqu’en 1860, cinq millions six cent mille couverts, qui ont retiré de la circulation trente-trois mille six cents kilogrammes d’argent, valant six millions sept cent mille francs. Une pareille quantité de couverts, exécutés en argent massif, aurait fait disparaître de la circulation un million de kilogrammes d’argent, c’est-à-dire plus de deux cents millions de numéraire, qui auraient été employés sans doute aux usages de l’orfévrerie et auraient sensiblement augmenté le taux du prix commercial de l’argent.

Au point de vue artistique, l’argenture offre aux dessinateurs, aux sculpteurs, et même aux ciseleurs de métaux, un avenir sur lequel ils ne comptaient pas au début d’une invention et d’une industrie dans laquelle ils croyaient voir le présage certain de leur ruine. Beaucoup d’artistes, beaucoup d’amateurs, ont vu avec regret s’introduire dans l’orfévrerie l’argenture voltaïque, pour remplacer l’argent massif, qui jouissait, depuis des siècles, de la propriété exclusive de fournir sa matière précieuse aux inspirations de l’artiste. Mais il est facile de reconnaître que la substitution du plaqué galvanique à l’argent pur, ne peut être que fort utile aux progrès et à l’avenir de la sculpture. N’étant plus arrêté par le prix excessif de la matière première à employer, l’artiste qui confiera à l’électro-chimie la reproduction de ses modèles, pourra donner libre carrière à son imagination ; et il aura ainsi les moyens de créer des chefs-d’œuvre dont l’idée même n’aurait pu être conçue, autrefois. Il est à remarquer qu’aucune des grandes pièces d’orfévrerie sculptée, exécutées pendant les deux derniers siècles, et qui ont fait l’admiration des cours de Louis XIV et de Louis XV, n’est parvenue jusqu’à nous. Dans les moments difficiles de nos révolutions, la perfection d’un objet d’art a rarement trouvé grâce devant la nécessité d’en réaliser la valeur pécuniaire, et nos hôtels de monnaie ont transformé en informes lingots les plus belles créations des artistes des siècles passés. Au contraire, de toutes les œuvres sculpturales exécutées en bronze à la même époque, aucune ne s’est perdue, grâce à cette heureuse circonstance que la matière première en était sans valeur. Pour la conservation des chefs-d’œuvre artistiques de notre âge, il est donc à désirer que l’emploi de l’argenture voltaïque se répande de plus en plus,