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changer ces ouvriers en leur commandant d’autres travaux sur le pont.

Il est assez étrange de lire ensuite, dans l’ouvrage de M. W. H. Russel, auquel nous empruntons tous ces détails[1], que le troisième accident, dont nous allons parler, se produisit encore lorsque la même équipe était de service.

Nous arrivons au dernier et fatal accident, qui fit échouer cette gigantesque entreprise.

C’est le 2 août, vers le milieu du jour, lorsque les deux tiers de la route maritime étaient parcourus (on avait déjà filé 2 244 kilomètres de câble), que l’on reconnut, pour la troisième fois, une interruption des communications. On espérait pouvoir réparer le défaut avec le même succès que les deux premières fois. Trois kilomètres de câble étaient déjà relevés ; on les passait de l’avant à l’arrière, sur une plate-forme en fer qui était à la poupe ; mais les machines à vapeur et les chaudières ne fonctionnaient pas suffisamment, et la tension de la corde était énorme. Tout à coup, le câble, dont l’armature était usée par le frottement contre les haussières, se brisa. Cassé à 10 mètres de l’avant du vaisseau, il retomba à la mer, de toute la violence de son poids.

Ce n’était plus une interruption de conductibilité, mais une rupture complète du fil. Le désespoir de tous était poignant ! Tant de soins, tant de peines perdus en un instant ! Malgré tant d’efforts et de travaux, on n’avait pu parvenir à mener l’entreprise à bonne fin !

M. Canning essaya de rendre quelque confiance à l’équipage : il décida qu’on tenterait immédiatement de repêcher le câble rompu. C’était une tentative bien incertaine, car on n’avait jamais dragué à une telle profondeur, c’est-à-dire à 3 600 mètres. En supposant, d’ailleurs, que l’on pût accrocher le câble, il était presque impossible que les chaînes supportassent un tel poids sans se briser.

Cependant, un grappin de fer fut lancé à la mer avec 4 600 mètres d’une chaîne, qui n’était pas tout d’une pièce, mais formée de diverses parties réunies par des anneaux en fer, afin d’éviter les effets de torsion sur une pareille longueur. Le Great-Eastern revint sur ses pas, laissant traîner son grappin, et courant de petites bordées, perpendiculaires à la direction suivie pendant la pose.

Au bout de quinze heures de cette manœuvre, l’aiguille du dynamomètre et la tension de la chaîne, firent reconnaître que le grappin avait saisi le câble. On peut s’imaginer les soins et les précautions qui furent employés pour l’opération du relevage.

Une moitié au moins de la chaîne du grappin était déjà à bord, quand un de ses anneaux se brisa ! Il y avait de quoi décourager les plus énergiques, d’autant plus que le brouillard commençait à se former. On n’eut que le temps de descendre une bouée, pour avoir un point de repère sur la mer.

Après le brouillard, vint le gros temps. Malgré sa vapeur, le Great-Eastern chassait sous le vent. Cependant, il se comportait admirablement à la vague. Pendant que les deux steamers de l’État qui le convoyaient, semblaient disparaître sous les lames, il soutenait les coups de vent sans ébranlement sensible.

Ce ne fut qu’au bout de trois jours, le lundi, 9 août, que l’on put retrouver la bouée. On se mit de nouveau à l’œuvre. Le grappin s’empara encore du câble, qui fut alors hissé à bord, avec un redoublement de précaution. Il s’était élevé lentement d’un mille et demi, quand un anneau de la chaîne se brisa encore.

On recommença les mêmes expériences trois jours après, le jeudi 12 août, mais sans plus de succès. Des fragments du grappin furent enlevés par le frottement de l’armature du câble.

Sans se laisser décourager par tant d’échecs, les ingénieurs et les mécaniciens du Great-Eastern essayèrent une quatrième tentative ; et elle ne fut pas plus heureuse. Le câble fut encore ressaisi et tiré à bord

  1. The atlantic Telegraph, by W. H. Russell. London, 1866, in-8o, illustrated.