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télégraphique, n’avaient point accusé l’existence de cette vallée sous-marine, qui surpassait de deux cents mètres les plus grandes profondeurs que les ingénieurs avaient signalées entre le Piémont et la Corse ; elle dépassait aussi de beaucoup les profondeurs que l’on avait rencontrées dans l’établissement du télégraphe sous-marin entre Douvres et Calais, comme entre l’Angleterre et la Belgique. Aussi tout le monde était-il convaincu, à bord du Persian, que le câble allait se briser sous l’énorme pression qu’il aurait à supporter dans les couches d’eau voisines du sol. Les officiers de la marine sarde, qui prenaient part à cette grande opération, conseillaient de faire un détour de huit milles, pour aller chercher les îles de Gorgona et de Carpuja, où la mer n’a qu’une profondeur de deux cents mètres ; il était à craindre, si l’on persistait à continuer l’opération, de voir le câble électrique se briser.

Ce parti était sans doute le plus prudent ; cependant M. Brett ne jugea pas à propos de l’adopter. Il fit comprendre, avec beaucoup de raison, que le moment était venu de décider, une fois pour toutes, une question capitale pour la télégraphie sous-marine. En effet, la ligne que l’on s’occupait d’établir, ne devait point s’arrêter à la Corse ; elle ne représentait que le début de la ligne grandiose qui, s’élançant de la Corse à la Sardaigne et de la Sardaigne à l’Afrique, ne devait se terminer qu’au fond des Indes. On aurait à rencontrer, dans ce long parcours, des mers dont la profondeur serait plus considérable encore, et il était bon de constater tout de suite si l’opération était possible.

On se mit donc résolûment à l’œuvre, et le câble fut abandonné à son poids.

Il parut d’abord descendre sur la pente d’une montagne sous-marine, jusqu’à une profondeur de trois cent soixante à quatre cents mètres ; ensuite, on crut sentir qu’il se trouvait tout à coup sur le bord d’un précipice, dont le fond n’était pas à moins de sept cents mètres, profondeur qui excédait de plus de cent mètres celle que les cartes indiquaient sur la route suivie jusque-là. Le câble se précipita alors avec une rapidité effrayante, non sans faire courir des dangers et occasionner de graves avaries au navire ; s’il n’eût pas été construit avec une solidité parfaite, sa rupture était inévitable. On finit cependant par rencontrer le fond, et la nuit fut employée à réparer les avaries occasionnées au bâtiment par cette opération dangereuse. Le câble fixé au fond de la mer servait seul d’ancre de retenue, et certes, jamais ancre d’une telle longueur n’avait servi à aucun navire, depuis l’époque où le premier navigateur au cœur armé d’un triple acier osa, selon le poëte, braver les dangers de l’élément perfide.

Deux jours après, la pose était terminée : le 25 juillet, le câble électrique était attaché au cap Corse, à la hauteur de la tour d’Aguelto.

Ainsi, tout allait bien de ce côté, et pour continuer l’entreprise heureusement commencée, il fallait s’occuper de la ligne de télégraphie terrestre qui devait traverser la Corse, pour faire suite à ce premier conducteur. Mais, en arrivant en Corse, M. Brett y trouva les ingénieurs et ouvriers de la ligne terrestre, atteints de la malaria, qui envahit chaque été ce pays. Les quatre cinquièmes des ouvriers avaient succombé, et M. Deschanel, l’ingénieur en chef, avait été une des premières victimes. Tous les travaux étaient suspendus ; on ne put les reprendre et les terminer qu’au bout d’un mois. Cependant, le 26 août, la ligne terrestre de la Corse, construite enfin, put commencer à fonctionner.

Le 29, à 4 heures et demie du matin, le Persian procéda à la pose du fil électrique dans le détroit de Bonifacio, entre la Sardaigne et la Corse. À 10 heures du soir, l’opération était terminée, et le Persian, ayant définitivement accompli sa tâche, reprenait