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marquer, la multitude des mouvements nécessaires pour indiquer une phrase, aurait produit une confusion et une perte de temps considérables, et rendu ainsi impossible la transmission d’une dépêche un peu étendue. Le système alphabétique de Polybe, comme aussi le système phrasique des Romains et des Orientaux, ne pouvaient servir que dans les camps, pour communiquer d’un quartier à un autre, pour donner des ordres ou faire passer des avis à une ville assiégée. Une correspondance générale de télégraphie ne pouvait s’accommoder de moyens aussi imparfaits.

Pour écrire de loin, selon l’objet et l’étymologie du télégraphe, il faut voir de loin. Avant la création de la physique, et en particulier de l’optique, on ne pouvait donc arriver à aucun résultat sérieux en ce genre. L’invention des miroirs concaves réflecteurs, mais surtout l’invention de la lunette d’approche, pouvaient seuls permettre de créer l’art télégraphique. Aussi faut-il arriver jusqu’au xvie et au xviie siècle, pour assister à la naissance, ou du moins aux premiers essais, d’une télégraphie sérieuse.

Déjà, au xve siècle, l’illustre et malheureux Roger Bacon avait parlé de la possibilité de se servir de grands miroirs concaves pour voir à longue distance. Roger Bacon croyait que Jules César, quand il se préparait à traverser la mer, pour attaquer la Grande-Bretagne, s’était servi de ce moyen pour voir ce qui se passait de l’autre côté du détroit. Il en concluait que l’on pourrait par le même système, c’est-à-dire avec de grands miroirs concaves, apercevoir de loin les villes et les armées[1].

Jean-Baptiste Porta, l’inventeur de la chambre obscure, l’auteur de la Magie naturelle, était si bien persuadé de la possibilité de réfléchir de très-loin les rayons lumineux, au moyen des miroirs concaves, qu’il parlait d’établir un télégraphe, en faisant réfléchir sur la surface de la lune, qui aurait servi de plan réflecteur, des signaux formés sur la terre[2].

Déjà, un rêveur du moyen âge, Corneille Agrippa, qui avait l’exagération scientifique de Porta, sans avoir le génie d’observation et de recherches de celui-ci, avait prétendu que Pythagore, voyageant en Égypte, écrivait à ses amis au moyen de caractères expédiés sur la lune.

Le père Kircher, bien qu’il fût tout aussi infatué de merveilleux que les hommes de son temps, taxe de chimérique l’idée de Jean-Baptiste Porta. Pour que la lune, nous dit Kircher, pût produire cet effet, il faudrait qu’elle eût la propriété de réfléchir les objets comme une glace ; que le miroir qui lui ferait passer les signaux fût aussi grand que le diamètre de la terre, et que chaque signal eût vingt degrés de hauteur.

Si l’invention de Porta est quelque peu difficile à comprendre, l’objection de son savant critique est encore plus obscure pour nous. Mais c’est ainsi que l’on discutait entre savants, au moyen âge.

Le père Kircher, qui blâmait, chez Porta, l’usage de la lune comme moyen de télégraphie, s’accommodait pourtant du soleil dans la même intention. Il aurait voulu se servir, comme nous allons le dire, des rayons solaires, pour correspondre entre des lieux éloignés.

Chappe, dans son Histoire de la télégraphie, décrit ainsi le procédé de Kircher :

« Son procédé était d’écrire sur un miroir de métal les lettres des mots qu’il voulait transmettre : on plaçait à quelque distance une lentille de verre, au travers de laquelle on réfléchissait avec le miroir les rayons du soleil sur le lieu où l’on voulait les faire parvenir. Ce lieu doit être une chambre dont les murs intérieurs soient peints en noir. L’image des

  1. Sic enim Julius Cæsar, quando voluit Angliam expugnare, refertur maxima specula erexisse, ut a Gallicano littore dispositionem civitatum et castrorum Angliæ prævideret. Similiter, possent specula erigi in alto, contra civitates et exercitus. (Opus majus.)
  2. Histoire de la télégraphie par Ignace Chappe ; 1 vol. in-8. Paris, 1825, p. 38.