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dant le souper, leurs maris eurent presque toujours les yeux fixés sur notre héroïne. On l’eût prise pour une reine qui reçoit des hommages, ou plutôt pour une déesse adorée de tout ce qui l’entoure ; mais c’étoit un culte qu’on aimoit à lui rendre, et qu’elle n’exigeoit point. Sa modestie et ses manières prévenantes ne la distinguoient pas moins que ses autres qualités.

La soirée se passa gaîment. Tous les convives étoient heureux, ceux-là surtout qui avoient le plus souffert auparavant. Leurs peines passées ajoutoient, par l’effet du contraste, à leur félicité présente un charme que n’auroient pu lui donner toutes les faveurs réunies de l’amour et de la fortune. Cependant, comme une grande joie, après un changement soudain de situation, est amie du silence et se concentre dans le cœur, au lieu de se répandre en paroles, Jones et Sophie paroissoient les moins gais de toute la compagnie. Western le remarqua avec dépit, et s’écria à diverses reprises : « Pourquoi ne parles-tu pas, mon garçon ? d’où te vient cet air grave ? Et toi, fille, as-tu perdu la langue ? Allons, bois encore un coup. » Pour mieux l’égayer, il se mit à chanter une chanson grivoise sur le mariage, et poussa même le cynisme à un tel point, qu’il auroit forcé Sophie de sortir de table, si M. Allworthy ne lui eût imposé silence par ses regards