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trop belle

là qu’une jeune fille pourrait m’aimer… puisque je dispose de ces deux arguments appréciables… Or, une femme est influençable et son caractère peut se modifier selon la cause et pour un temps déterminé. Je puis être déçu et posséder à mon foyer une harpie d’âme au visage d’ange. Que faire pour m’en éloigner ? le divorce ?… c’est gai… ma tante… pour un voyageur qui se croit arrivé au port… d’envisager une telle perspective !… Et puis… mon fond religieux s’y opposerait avec véhémence… restons avec une conscience saine…

— Tu vois le mariage en sombre mon ami…

— Je réfléchis… En wagon… je ne regarde pas que le paysage… Il y a des couples en voyage de noces… et c’est parfois piteux… Ils ont l’air de s’aimer… mais on sent que ce n’est pas le bel amour… si grand… si noble…

— Eh ! là… serais-tu poète ?

— Oui… parce que je suis sensible et aimant…

— Quelle surprise pour moi… de découvrir un jeune homme de ta génération avec ces qualités !

— Ah ! ma tante… quel aveu déplorable !… vous venez clairement de me laisser deviner que les jeunes filles ne valent pas mieux. La généralité manque de cette sensibilité ardente… de cette générosité si rare… de cette indulgence douce au cœur…

— Décidément… tu es un rêveur…

— Peut-être…

— En somme… tu tues le temps avec tes voyages ?

— Je tue peut-être aussi mon cœur…

— Je le crois… mais ce n’est pas en te sauvant de côté et d’autre que tu trouveras une femme française. Et veux-tu que je te dise ? Eh bien ! quand tu auras reçu le coup de foudre… tu ne regarderas à rien du tout… et tu épouseras… sans songer aux conséquences.

— Bien… je n’avais pas besoin d’aller à Bombay pour consulter un diseur de bonne aventure… puisque je vous avais à Paris !

— Il t’a prédit la même chose que moi ?