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ÉPREUVES MATERNELLES

À cet instant, des voix d’enfants retentirent dans l’appartement.

Denise faillit perdre connaissance. Tout le luxueux passé, tout son amour maternel heurtèrent son souvenir. Il lui sembla que les voix de Richard et de Rita, avec leur enchantement, sonnaient à ses oreilles. Elle se raidit pour rester droite et indifférente.

— Vous irez aux provisions, dit encore Mme Pradon, et vous serez libre d’acheter ce que vous voudrez, à condition que ce soit de première qualité. Je ne regarde pas à la dépense pourvu que ce soit bon et que les comptes soient justes.

Ayant parlé, Mme Pradon disparut. La femme de chambre esquissa une révérence moqueuse et murmura :

— Ça prend des airs ! J’ai servi chez une vraie comtesse qui ne faisait pas plus d’embarras. Ma fille, il faut te débrouiller ! Le déjeuner est à midi tapant. Monsieur n’aime pas le retard, on reste à table longtemps. Tu pourrais nous rôtir un poulet, il y a quelque temps que je n’en ai pas mangé. La cuisinière qui vient d’être fichue à la porte ne l’aimait pas.

Marie Podel osait à peine comprendre que ce luxe de paroles s’adressait à elle. On la tutoyait familièrement, elle devait aller au marché, acheter un poulet, organiser un déjeuner complet.

Étourdie, bousculée, le cœur chaviré de douleur, de honte et de regret, la malheureuse redescendit les trois étages avec un énorme panier au bras.

Elle essaya de reconquérir un peu de lucidité dans les pensées. Elle s’ingénia pour ce déjeuner, chassant le souvenir de ses enfants, l’affreuse réalité du présent.

Il fallait prendre la vie avec force.

Elle demanda des conseils tout en s’approvisionnant. Rentrée dans sa cuisine, elle confectionna dans le silence, un repas qu’elle jugea satisfaisant. Mettant à profit son ancien rôle de maîtresse de maison et son apprentissage de cuisinière, elle fit ce qui l’aurait contentée.

Elle eut le plaisir de constater que le déjeuner agréait. Mme Pradon vint lui faire des compliments. Elle les reçut avec tranquillité.

Remise par la nourriture, son assurance était plus