Page:Feydeau - Théâtre complet, volume 4, 1948.djvu/50

Cette page n’a pas encore été corrigée

Maxime. — J’étudie l’amour, Mademoiselle !…

Victoire, gouailleuse. — Allons donc !… dans cette position-là ? (À part.) Il est gentil, tout de même, ce petit ! (S’approchant de lui.) Si vous voulez, monsieur Maxime, je vous ferais bien répéter…

Maxime. — Comment, Mademoiselle, vous avez étudié l’amour ?

Victoire, très naturellement. — Dame ! comme tout le monde.

Maxime. — Dans Descartes ?

Victoire. — Non !… Dans du marc de café !

Maxime. — Je crois, Mademoiselle, que vous vous méprenez !

Victoire. — Alors, dites… vous ne voulez pas que je vous fasse répéter ?

Elle lui caresse le genou.

Maxime, impassible. — Mademoiselle… vous me chatouillez.

Victoire. — Cela vous est désagréable ?

Maxime. — Je ne dis pas ça, mais vous me chatouillez ! (À part.) Qu’est-ce qu’elle a donc toujours après moi, cette femme ?

Victoire. — Oh ! c’est pas gentil de vous éloigner parce que je suis là !

Maxime, très sérieux. — Je ne m’éloigne pas !… je travaille !… Je ne peux pas étudier mon amour, si j’ai tout le temps une femme à côté de moi !

Il s’asseoit sur le canapé.

Victoire, riant. — Ah !… Eh bien, c’est la première fois que j’entends dire ça !

Maxime, lisant. — On distingue l’amour de bienveillance et l’amour de concupiscence. Les passions qu’un amant a pour sa maîtresse et un bon père pour ses enfants sont certainement bien différentes entre elles. Toutefois, en ce qu’elles participent de l’amour, elles sont semblables ! Mais… (Il se lève et va s’asseoir à l’autre extrémité du canapé.) Mais le premier n’a d’amour que pour la possession de l’objet auquel se rapporte sa passion et n’en a pas pour l’objet même ? (Très sérieusement.) C’est agréable, ce que vous me faites là !…

Victoire, qui le caresse. — Vous trouvez, monsieur Maxime ?

Maxime. — Oui ! (Continuant sa lecture.) Au lieu que l’amour qu’un père a pour ses enfants est si pur qu’il ne désire rien avoir d’eux et ne veut pas les posséder autrement qu’il fait, ni être joint à eux autrement qu’il l’est déjà.

Victoire. — C’est heureux !

Maxime, continuant. — Mais, les considérant comme d’autres soi-même, il recherche leur bien comme le sien propre.

Victoire, lui caressant les cheveux. — Oh ! le pitit ! pitit ! pitit !

Maxime. — Je vous en prie, Mademoiselle, grattez, mais ne parlez pas !

Victoire. — Oui, monsieur Maxime. (S’accoudant au canapé.) On ne vous a jamais dit que vous étiez joli garçon, monsieur Maxime ?

Maxime. — Moi ?… Mais je ne sais pas !… Si, une fois !…

Victoire. — Ah !

Maxime. — Oui, le photographe !… Oh ! je lui commandais une douzaine d’épreuves… Il m’a dit : Vous êtes si joli garçon, vous devriez en prendre trois douzaines !… Alors, je les ai prises.

Victoire. — Ah ! oui, mais ça, ça n’est pas une femme !

Elle se remet à lui caresser les cheveux.

Maxime. — Non ! C’était un commerçant… (Il reprend sa lecture.)