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dépravation là-dedans… Ce sont là de ces subtilités auxquelles on arrive qu’après avoir quitté le bel âge où l’on est simplement gourmand pour entrer dans celui où l’on est gourmet… Enfin, quoi, nous voilà en tête-à-tête : aucun obstacle entre nous, n’ayant qu’à étendre la main pour arriver à ce dénouement auquel il faut bien qu’on arrive, mais qui gagne tellement à être différé…

Pervenche, à part. — Oh ! oh ! il me fait l’effet d’un homme qui ne se sent pas en voix !

Paturon. — Eh bien ! ces obstacles qui nous manquent, qu’est-ce qui nous empêche de nous les créer ?… Qu’est-ce qui nous empêche de dîner ensemble, mais entre des indifférents dont la présence nous gênera n’ayant qu’une perspective : le moment où nous en serons débarrassés ? Ah ! non, voyez-vous, il n’y a que ça de vrai ! et n’en déplaise au philosophe qui a dit : "ousqu’y a de la gêne, il n’y a pas de plaisir", je lui dis moi : "Ousqu’y a pas de gêne, il n’y a pas de plaisir !"

Pervenche. — Enfin, où voulez-vous en venir ? nous ne pouvons pas dîner à table d’hôte !

Paturon. — Ecoutez, ! Je viens de rencontrer un ancien ami à moi ! il est comme moi en partie fine… J’ai pensé qu’au lieu de dîner tous les deux ensemble, nous pourrions dîner tous les quatre…

Pervenche, passant devant Paturon et allant au n° 2. — Permettez !… mais quelle est la femme ? qu’est-ce que c’est ?

Paturon. — Oh ! une femme du monde !… Sans cela je ne vous en aurais même pas parlé !

Pervenche. — Une femme du monde ?… Oh ! alors oui… (À part.) Ca m’amusera de dîner avec une femme du monde !

Paturon. — Et vous savez !… C’est un garçon charmant, spirituel !…

Pervenche. — Il est riche ?

Paturon. — Très riche !… mais il a une grue qui le dévore !

Pervenche. — Une grue ?

Paturon. — Oh ! pardon ! une courtisane !

Pervenche, avec mépris. — Ah ! ah !… fi !… fi !…

Paturon, même jeu. — Ne m’en parlez pas !

Pervenche, à part. — Riche ! Je le lui soufflerai, à sa grue !

Paturon. — Alors, c’est entendu ?

Pervenche. — C’est entendu !… (Remontant vers le fond en passant devant la table de droite.) Mais je voudrais bien me débarrasser de mon manteau.

Paturon. — Attendez !…

Il appuie sur un timbre qui est sur la table.

Philomèle, paraissant au fond. — Monsieur ?

Paturon. — C’est madame qui veut se débarrasser de son manteau.

Philomèle, indiquant la droite. — Si madame veut entrer là…

Pervenche. — Parfaitement. (Se dirigeant vers la droite, à Paturon.) Venez-vous ?

Paturon. — Voilà, chère madame !

Il entre à droite à la suite de Pervenche.