Alfred. — Ah ! Qu’est-ce que vous voulez, monsieur !… elle a succombé !
Paturon. — Oh ! la pauvre femme !
Alfred. — Elle a succombé à quelque enjôleur !
Paturon. — Aïe !
Alfred. — Elle a fait comme ma première !… elle s’est fait enlever et depuis, je ne l’ai pas revue !
Paturon. — Eh bien, dites donc ! vous n’avez pas de chance avec vos femmes !
Alfred. — Non, monsieur ! j’ai toujours eu la bosse du mariage, elles n’ont jamais eu la bosse de la fidélité !
Paturon. — Ah ! bien, qu’est-ce que vous voulez ? ça aurait fait trop de bosses dans le ménage ! (Il s’asseoit sur le canapé.) Mais si je ne me trompe, vous étiez déjà divorcé d’avec votre première femme !
Alfred, s’asseyant sur le canapé à côté de Paturon toujours au n° 2. — Parfaitement !… c’est même ce qui m’a permis d’épouser la seconde. (Paturon lui fait remarquer par un geste qu’il est assis à côté de lui. Alfred se lève et continue.) Et j’ai également divorcé d’avec la seconde, ce qui m’a permis d’épouser la troisième.
Paturon. — D’où il résulte que vous avez trois femmes sur le pavé de Paris !
Alfred. — C’est-à-dire qu’à vraiment parler… je n’en ai qu’une, mais il y en a trois qui se croient chacune ma femme ! parce que les deux premières, elles, ne savent rien du divorce !… Quand elles ont filé, j’ai fait constater la disparition et le divorce a été prononcé en leur absence.
Paturon, se levant. — Vraiment ? Les deux premières ignorent…
Alfred. — Les trois, même ! parce que j’ai trouvé inutile de dire à ma dernière femme que j’étais divorcé : ça embête toujours les femmes, ces choses-là ! je lui ai dit que j’étais veuf, c’était bien plus simple ! et même, si vous la voyez, je vous prierai de ne pas faire d’allusion !
Paturon, passant devant Alfred et allant au n° 2. — Soyez tranquille !
Alfred. — Je vous dis ça à vous, parce que vous êtes un ami, mais motus !
Paturon. — Entendu ! mais sans vouloir vous êtes désagréable, je vous avouerai que je ne suis pas venu exprès pour entendre vos histoires conjugales !
Alfred. — C’est juste, monsieur !… je me laissais aller à mes effusions.
Paturon. — Voilà ! j’aurais besoin d’un cabinet.
Alfred. — Je vois ! Eh bien, celui-ci… il ne vous va pas ?
Paturon. — Si, parfaitement ! gardez-le moi ! Maintenant, pour le menu…
Alfred. — Oh ! rapportez-vous en à moi ! Je connais vos goûts ! Vous serez content.
Paturon. — Bon !
Alfred. — Combien êtes-vous ?
Paturon, allant à l’extrême droite. — Bêta !… Je suis deux !
Alfred. — Toujours, alors ! Eh bien, j’enlève deux couverts ! (Prenant les deux couverts sur la table et les portant sur la desserte du fond, à part.) J’ai perdu mon pari ! c’est dix mille francs que je me dois !