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Madame Pinglet. — Ah ! mon ami ! Un accident ! Un accident épouvantable qui a failli te priver de moi à jamais !

Pinglet, sans conviction. — Ah ! ne me répète pas ça, tu me crèves le cœur !

Madame Pinglet. — Ah ! tu es bon ! J’avais pris un fiacre, comme tu sais, pour me conduire à Ville-d’Avray. D’abord tout allait bien, nous marchions d’un bon petit train tous les trois.

Pinglet. — Qui, tous les trois ?

Madame Pinglet. — Eh bien ! le cocher, le cheval et moi ! Quand subitement, au moment de franchir les portes de Paris, un coup de sifflet du chemin de fer effraye le cheval… le voilà qui s’emballe…

Pinglet. — Qu’est-ce que tu me dis là !

Madame Pinglet. — Le cocher essaye de le retenir… Impossible ! Et nous voilà filant, franchissant l’espace, traversant la campagne et pas une âme ! pas une pour venir à notre secours ! Ah ! va, Benoît, c’est dans ces moments-là, où l’on joue sa vie, qu’on s’aperçoit combien on aime son mari ! Le croirais-tu ? Le seul être qui occupait ma pensée, c’était toi !… toi qui ne risquais rien ! Et je me disais. (Avec émotion.) Ah ! si seulement il était là près de moi.

Pinglet. — Oh !… Angélique… tu as de ces intentions !

Madame Pinglet. — Mais malheureusement, tu n’y étais pas. Alors ma foi, j’ai perdu la tête ! j’ai ouvert la portière et j’ai sauté.

Pinglet, très calme. — Oh ! mon Dieu ! mon Dieu !

Madame Pinglet. — Et v’lan ! j’ai été donner de la tête sur un tas de cailloux !

Pinglet. — Oh ! Pauvre cher être !

Madame Pinglet. — À partir de ce moment, je ne me souviens plus de rien ! Je ne sais qu’une chose, c’est qu’au petit jour je me suis réveillée dans une chaumière de paysans, entourée de gens que je ne connaissais pas et qui semblaient heureux de me voir revenir à la vie !… Ah ! les braves gens ! Je regrettais de n’avoir que cent francs dans mon porte-monnaie… J’aurais voulu leur donner tout ce que nous avons.

Pinglet. — C’est peut-être beaucoup.

Madame Pinglet. — Oh ! non. Ils m’avaient sauvée !

Pinglet, entre ses dents. — C’est bien ce que je dis !

Madame Pinglet. — Enfin, ce matin, quand ils ont vu que j’allais mieux, ils ont fait atteler une espèce de voiture de maraîcher et ils m’ont reconduite jusqu’à la place de l’Etoile. Là, j’ai trouvé un fiacre, qui m’a ramenée, et me voilà !

Pinglet, très calme. — C’est épouvantable !

Madame Pinglet, pleurant. — Ah ! Pinglet ! Pinglet ! Quand j’y pense maintenant… Quand je revois cette scène… Vois-tu, si ta pauvre femme…

Elle sanglote.

Pinglet. — Voyons, voyons !… Ce n’est pas le moment de pleurer…

Madame Pinglet. — Enfin ! tout de même !… Si tu m’avais perdue ! Qu’est-ce que tu aurais fait ?…

Pinglet, la tenant dans ses bras. — Je ne me serais pas remarié, va !… Allons, voyons !

Il l’embrasse.