Page:Feugère - Érasme, étude sur sa vie et ses ouvrages.djvu/45

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
23
LES THÉOLOGASTRES.

la foi, Érasme citait les Lettres décrétales qui recommandent la triple étude du latin, du grec et de l’hébreu. Cette autorité suffisait bien pour mettre sa conscience en repos. Rien d’ailleurs ne lui coûte pour conquérir le nom d’helléniste. « Dès que j’aurai reçu de l’argent, écrit-il, j’achèterai des livres grecs d’abord, et ensuite des vêtements[1]. » Demandant à Benserade de lui envoyer ce qui a paru de nouveau en grec : « Je suis prêt, ajoute-t-il, à mettre mes habits en gage, plutôt que d’en être privé[2]. » Il ne peut lire encore couramment Homère, et pourtant « la seule vue du livre lui donne de la joie, et ses yeux s’en repaissent avidement[3]. » Il ne cesse de répéter que la connaissance du grec est indispensable à la culture des lettres. « Les Romains n’ont que de petits ruisseaux et des mares pleines de boue ; les Grecs ont les sources limpides et les fleuves qui roulent de l’or. »

Mais déjà le ton irrité d’Érasme nous avertit qu’il a ouvert la lutte contre les ennemis des lettres. Ces ennemis qu’il poursuivra sans trêve ni merci, et sur lesquels il rejettera tous les malheurs du temps, ce sont les disciples dégénérés de Scot et d’Albert, les théologastres, indignes du nom de théologiens, aux yeux desquels tout commerce avec les muses est une hérésie, tout progrès un sacrilège, et qui regardent comme une marque d’orthodoxie la barbarie du langage et la subtilité obscure de la pensée. Ce sont là les barbares qu’il faut rejeter, comme les Grecs l’ont fait pour les Perses, dans le pays des brouillards scolastiques. Dès cette époque Érasme, comme un hardi soldat d’avant-garde, leur décoche mille traits sanglants. Il ose même s’avancer jus-

  1. Ép. 29.
  2. Ép. 58.
  3. Ép. 87.