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L’ESSENCE DU CHRISTIANISME

ainsi dire ; la religion telle que l’homme la tire lui-même de sa propre essence humaine et telle qu’il la voit ensuite en face de lui. Je n’appelle le secours de l’érudition et de la philosophie que pour mieux dégager ce trésor secret de homme.

Je dois faire remarquer que si mon livre se rencontre aujourd’hui entre les mains du grand public, c’est contre mon intention primitive. Sans doute, j’ai toujours pensé que ce n’est pas au savant, à l’homme de l’abstraction, au philosophe métaphysicien, & l’académicien borné, mais bien à l’homme en général, qu’il faut s’adresser en écrivant et en enseignant, mais bien au jugement du bon sens humain. Je suis convaincu que le suprême, le plus sublime effort du philosophe doit être l’abnégation de lui-même comme philosophe, et qu’il ne doit être philosophe qu’en secret, incognito et sans bruit. J’ai toujours, et dans tous mes écrits, visé à être clair, aussi simple et précis que la matière que je traite le permet, de manière que tout esprit cultivé, tout individu humain qui sait penser peut me comprendre sans difficulté. Cependant il faut apporter à la lecture de cet ouvrage un certain savoir scientifique.

Ainsi, quand je montre la diversité de l’aspect que la nature prend, selon qu’on l’étudie au point de vue théologique, ou bien au point de vue de la physique, ou bien au point de vue de la philosophie naturelle je songe surtout aux systèmes de Descartes et de Leibnitz. Mes idées se combinent alors à des idées qui, de longue main, ont préparé les miennes, et qu’il faut connaître, si l’on ne veut s’exposer à m’imputer comme chimériques des assertions que je suis parfaitement autorisé à tenir pour fondées. Sans doute, l’objet de ce livre intéresse tout mortel ; un jour les principales idées qu’il contient seront une propriété commune du genre humain, et, certes, sous une forme meilleure que celle que j’ai pu leur donner ici. Cet objet, je l’ai manié et remanié comme une matière scientifique, comme un morceau de philosophie pour relever les hallucinations des théologiens et les aberrations des philosophes spéculatifs, j’ai été obligé de me servir de leur dictionnaire, pour ne pas dire de leur jargon. De là résulte que j’ai l’air, parfois, de théologiser et de philosopher spéculativement moi-même, jamais bien que ma tâche soit de résoudre, de dissoudre tout cette théologie et cette philosophie transcendante, pour les trans-