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Les personnes qui me font du bien, mon père, ma mère, me seraient infiniment moins chères, si je les regardais comme de simples instruments, comme des domestiques qui au nom de leur maître m’apportent un cadeau. Luther exprime cela en ces mots : « Si tu ne crois pas à l’autre vie après ton trépas, tu as ton sauveur déjà ici-bas, c’est l’empereur, l’autorité constituée, tes parents… Tant qu’on marche bien en ce monde terrestre, on ne se tourne point vers Dieu ; mais quand la mort va arriver, quand la conscience tremble à cause de nos péchés et de l’enfer éternel, alors il faut bien demander le Sauveur céleste ; tous les empereurs, et rois, et parents, et amis, et chirurgiens et philosophes de la terre s’ils entouraient ton lit ne pourraient te porter le secours du ciel (XVI, 89). »

Le dernier mot, la dernière base de la religion est en effet la mort, qui est l’expression la plus concentrée, la plus douloureuse de la dépendance où nous sommes de la nature.

La religion craint par-dessus tout la mort, elle proclame l’immortalité comme le grand but que l’homme ne peut atteindre qu’à l’aide de Dieu ; ainsi Dieu n’est-il rien autre chose que le moyen, l’instrument, par lequel l’homme arrive au bonheur éternel qui, personnifié, est encore Dieu. Une religion qui enseigne que la mort est la punition du péché originel, sort d’une supposition contre nature, et doit forcément s’armer d’un instrument contre nature pour triompher de la mort ; Dieu, en tant que Dieu-colère, l’a fait naître et ce n’est que Dieu-amour qui puisse la détruire. Remarquez cependant que l’effet de ce remède surnaturel est à peu près nul contre les terreurs d’une mort inespérée. L’expérience le prouve tous les jours et l’a prouvé à Luther aussi, il écrit à N. Amsdorf ces tristes lignes : « Plus nous prêchons à notre peuple la vie éternelle de l’Évangile, plus la peur de la mort augmente chez lui. On tremble à l’idée de la fin terrestre bien plus dans l’église réformée que dans celle du pape ; les catholiques vivent naïvement et en paix, ils ignorent encore l’affreuse signification des mots mort, colère de Dieu. Toutefois, très cher Amsdorf, tu trouveras, comme moi, que nos moribonds reprennent leur courage et s’endorment dans le Seigneur. Et cela doit être : les vivants ont peur de mourir, mais les mourants sont sûrs de vivre (V, 134-35) » La théologie s’en réjouit, et avec raison ; quant à nous, nous en gé-